Lisons ensemble un court extrait de l’Évangile de la Passion que nous lirons en cette fin d’année liturgique.
Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc
En ce temps-là, on venait de crucifier Jésus, et le peuple restait là à observer. Les chefs tournaient Jésus en dérision et disaient :
« Il en a sauvé d’autres, qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Élu ! »
Les soldats aussi se moquaient de lui ; s’approchant, ils lui présentaient de la boisson vinaigrée, en disant : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! »
Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui : « Celui-ci est le roi des Juifs. »
L’un des malfaiteurs suspendus en croix l’injuriait : « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! »
Mais l’autre lui fit de vifs reproches : « Tu ne crains donc pas Dieu ! Tu es pourtant un condamné, toi aussi ! Et puis, pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal. »
Et il disait : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. »
Jésus lui déclara : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis.»
Le contexte
À l’occasion du dernier dimanche de l’année liturgique, nous lisons un extrait de la Passion. Les premiers chrétiens ont reconnu en Jésus dans ce récit les traits du vrai Roi.
Trois tentations
Au tout début de la vie publique de Jésus juste après son baptême, on se souvient que Jésus a été tenté trois fois par le diable :
– « Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain ».
– « Si tu te prosternes devant moi, tu auras pouvoir sur le monde entier ».
– « Si tu es Fils de Dieu, d’ici jette-toi en bas ».
Et le diable, nous dit saint Luc, « s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé. » Remarquons que ces trois tentations sont ici redoublées non plus par Satan mais par trois autres personnes ou groupes de personnes :
– Les chefs des prêtres quand ils disent « Il en a sauvé d’autres, qu’il se sauve lui-même, s’il est l’Elu de Dieu ! »
– Les soldats romains quand ils s’écrient : « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même. »
– Enfin, celui que l’on appelle le mauvais larron qui s’adressant à Jésus lui dit : « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même et sauve-nous ! »
À chaque fois, des injures et un appel à descendre de la croix ! Le pouvait-il ? Oui. Le fallait-il ? Non. Cela aurait signifié que Jésus renonce à sa mission de sauveur.
Le Sauveur et roi
qui ne se sauve pas
C’est ici tout le paradoxe du mystère de la Croix qui s’exprime. Celui que les anges de la nativité annonçaient aux bergers est ici sur une croix, victime des moqueries des uns, impuissant face au jugement des autres.
De fait, si Jésus n’est pas capable de se sauver, de faire appel, en cette circonstance, à la puissance de Dieu, comment peut-on lui donner le titre de Messie ? Sa souffrance et sa passivité prouvent bien pour les personnes présentes au pied de la Croix qu’il ne peut pas se l’attribuer. Pourtant, c’est bien en cette apparente inaction que Jésus se révèle Fils et Christ, intercesseur auprès du Père.
Roi sans terre
Comme l’indique l’écriteau, Jésus est condamné sous le motif de « Roi des Juifs ». Un roi sans terre, sans épée, sans armée que même des soldats bafouent. Sa royauté est bien synonyme de l’injustice dont il est victime. Ni Pilate, ni Hérode ne l’ont reconnu comme roi des Juifs, pourtant, malgré son innocence avérée, Jésus est condamné pour ce motif. Sa royauté est tout autre.
Le « bon » larron
Pour beaucoup, pour les juifs, pour les païens comme pour nous, il est bien difficile d’articuler Jésus comme figure royale avec la Croix. La royauté du Christ est étonnante, non pas despote, capricieux, dictateur mais soumis à la liberté de l’homme.
Le bon larron est la figure du bon disciple. Il a la crainte de Dieu. Objectivement, pécheur, assumant sa responsabilité, honnête par rapport à son divin Maître comme par rapport à lui, il ne lui demande pas de le sauver mais de se souvenir de lui. Et Jésus lui répond : Aujourd’hui, tu seras avec moi en paradis. Deux façons de comprendre cela :
– Quand tu seras mort, tu seras avec moi dans le Royaume de Dieu.
– Se placer dans cette juste relation avec Jésus, c’est cela le paradis. Pas une question de lieu mais de relation. Par conséquent, le bon larron se met auprès de Dieu alors même qu’il est sur la croix.
Cette deuxième interprétation nous invite à considérer le Royaume non pas comme un objectif à atteindre pour après, mais comme un espace de relations accessible dès aujourd’hui.
Didier Rocca