Olivier

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Lettre du Villard – février 2024

Lettre du Villard

Le Villard, le 15 février 2024

Le 15 février 2024
Bien cher ami,
Quelle n’a pas été ma surprise de découvrir, joint à votre gentil petit mot nous annonçant votre prochaine arrivée au Villard, une copie du résumé par le « chatbot » ChapGPT1 de ma lettre précédente que vous lui aviez confiée. Je suis assez impressionné par le résultat. Je ne conserve pas copie de mes lettres, mais celle-ci était encore assez fraîche dans ma mémoire pour que je puisse apprécier le résultat. Disons que l’agent conversationnel a un peu survolé le propos mais qu’il l’a dans l’ensemble correctement résumé. C’est merveilleux et c’est effrayant. On peut supposer qu’avec un chatbot (ou un dialogueur, si vous préférez) plus élaboré, le résumé aurait été moins imprécis, mais on peut aussi imaginer, comme l’a souligné ma femme, horrifiée, que des sous-entendus auxquels je n’ai même pas pensé auraient pu s’y trouver glissés. Je suis effectivement assez impressionné ; peut-être est-ce parce qu’en ce domaine, comme dans d’autres, l’inconnu tétanise, mais au vu des résultats auxquels permettent de parvenir des systèmes encore peu élaborés, on ne peut pas ne pas penser que des personnes mal intentionnées ne vont pas chercher à en trouver des applications malveillantes.
Nous prenions l’autre jour le café sur la terrasse de Me Beraud, dont la femme était allée bridger ; il avait invité à se joindre à nous Mimiquet qui ratissait chez vous les feuilles que la chute de neige inattendue en novembre avait recouvertes pendant deux mois mais que le redoux révélait. Je leur ai parlé du trouble que me causait le document que vous m’aviez envoyé. « Je suis bien d’accord, fit Mimiquet en roulant sa cigarette. Depuis que le correspondant du Dauphiné libéré a appris que l’Est républicain confiait la relecture des textes de ses correspondants à ChatGPT, il ne dort plus, car il se doute bien qu’il va se faire virer. Je me dis sans doute comme vous, que ce qu’on lira ne sera sans doute pas pire que ce qu’il racontait, mais tout de même ! » Gastinel, arrivé sur ces entrefaites et qui n’avait entendu que la dernière phrase de Mimiquet, a observé que le recours à l’intelligence artificielle améliorerait peut-être un peu les textes que la presse locale livre à ses lecteurs. « Je me demande parfois, fit-il, quel lectorat ont en tête ces rédacteurs dont le vocabulaire, la syntaxe et la grammaire sont généralement décalés par rapport au sujet dont ils traitent. À part, peut-être pour les chroniques sportives… » J’ai noté que je le trouvais injuste et qu’il ne fallait pas accuser de trop de maux la presse locale, qui a, au moins, le mérite de nous informer de l’arrivée d’un cirque ou du changement de sens d’une voie de circulation. « Je vous trouve bien restrictif dans l’éloge, glissa Me Béraud, mais notre ami Gastinel me semble en revanche avoir une approche peu inhibée, si je puis dire, des conséquences possibles de certaines applications de l’intelligence artificielle. Et encore ! Parler, comme je le fais, de certaines applications est, peut-être, d’un optimisme déplacé, car qui nous dit que l’I.A. ne contrôlera pas tout, n’influencera pas tout ? Que le résumé de votre texte par un « chatbot » élaboré ne sera pas « enrichi » de façon subliminale par ce qu’il a apprit sur vous à partir de vos recherches sur Wikipedia ou dans votre messagerie électronique ? »
À ce moment est sortie de chez les Poulenc Mademoiselle Reynaud, venue faire le ménage après le départ de leurs enfants qui ont laissé la maison « dans un état pas possible » ; c’est du moins ce qu’elle a dit pour justifier la demi-journée qu’elle a dû leur compter. Dans sa tenue de RoboCop, elle a enfourché son quad et est partie sans plus nous saluer. J’ai repris ma relative défense de la presse locale en soulignant qu’elle n’avait pas l’exclusivité de la cécité. Je leur ai cité l’histoire de Simon Leys2 qui, dès 1971, avait dénoncé les dizaines de millions de morts que le maoïsme avait entraînés en Chine et la « Maolâtrie » de l’Occident mais dont les révélations n’avaient pas été diffusées. Simon Leys a récemment fait l’objet d’une émission de télévision suivie d’un débat ; les intervenants, qui avaient déjà des responsabilités éditoriales en 1971, admettaient qu’ils avaient su ce qu’écrivait Leys, mais que, pour ne pas aller à l’encontre de ce qu’on considérait comme un courant dominant dans l’opinion publique, ils avaient pris le parti de ne pas en parler. Il était ahurissant de constater que les médias, tant de gauche que de droite, avaient respecté cette omerta. « Ah ! çà ! Mais qui était cet “on” et qui “considérait” ? s’est exclamé Gastinel. Il est vraiment navrant d’avoir ainsi la preuve qu’on a sciemment trompé l’opinion publique. Nous nous doutons bien qu’on ne nous dit pas tout, mais que cette désinformation ait été le fait de la quasi-totalité des médias est accablant. Car pourquoi penser qu’il n’en soit pas toujours de même ? » « Et ce n’est peut-être pas entrer dans une logique complotiste, poursuivit Béraud, que de se demander ce qu’“on” essaie de nous faire penser du conflit en Palestine, de la situation en Ukraine, de l’islamisme, de l’aggiornamento actuel de l’Église, du changement climatique, et j’en passe. » Cela me fait penser, intervint Mimiquet, au proverbe chinois qui dit que lorsque le sage lui montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. On agite devant nous des doigts et nous ne savons même pas qu’il y a au loin la lune.
Comme vous le voyez, Lao-Tseu a maintenant au moins un disciple dans la vallée ! Téléphonez-nous vite pour nous dire à quelle heure vous arriverez, pour que nous mettions en route votre chauffage. Sachez qu’un potage vous attendra, « et plus, si affinités » pour tenir compte de l’appétit de vos enfants.
Avec toute notre amitié.

P. Deladret

  1. Chatbot : agent conversationnel ; ChatGPT est un agent logiciel qui dialogue avec un utilisateur de façon que la requête devienne compatible avec son logiciel opérationnel.
  2. Simon Leys, pseudonyme de Pierre Ryckmans (1935-2014), universitaire, sinologue, diplomate, auteur, notamment, du livre Les habits neufs du Président Mao, Ombres chinoises et Images brisées.
2024-02-20T23:09:14+01:00

Édito mars 2024 > Chemin de conversion

Nous sommes dans le temps liturgique du carême, ces 40 jours de préparation aux fêtes pascales, temps de conversion et d’approfondissement de notre relation à Dieu et aux autres. Nous allons aussi accompagner, tout au long de ces six semaines, le Christ dans sa montée vers Jérusalem, lieu de sa passion, de sa mort et de sa résurrection. Il me semble que le récit de la rencontre du Christ avec un lépreux dans l’Évangile de Marc (Mc 1, 40-45) peut nous aider à comprendre ce que Dieu est venu vivre avec l’humanité en se faisant homme.

Le pur et l’impur
Dans ce récit, Jésus est abordé par un lépreux, homme impur par excellence. Ce pauvre homme, tenu de vivre à l’écart des autres dans des lieux retirés de toute vie sociale et communautaire, ose s’approcher du Christ. Jésus ne le rejette pas, mais entend sa demande de guérison et l’accomplit. L’homme, tout joyeux, s’en va annoncer autour de lui cette bonne nouvelle de sa guérison, désobéissant à l’injonction de Jésus de ne rien dire à personne, et mettant le Christ dans une posture intenable, lui imposant de se cacher dans un lieu désert pour ne pas être assailli de demandes de guérisons et de miracles, lui qui se méfie de l’idolâtrie dont il pourrait être l’objet.

Le mérite et la gratuité
Ce court récit nous donne des repères quand au projet de Dieu dans sa relation avec l’humanité : il accueille l’homme considéré comme impur par ses coreligionnaires. Il ne le rejette pas et ne le culpabilise pas, alors qu’à l’époque on considérait qu’un homme atteint de cette grave maladie de peau extrêmement contagieuse était puni pour la laideur de son âme, et que cette malédiction avait pour cause ses grands péchés. Dans la logique religieuse de ce temps, on considérait que la toute puissance de Dieu était agissante sur les événements et les personnes, et que, Dieu étant bon, si une personne souffrait ou était malheureuse, c’était la conséquence de ses mauvaises actions. C’était une façon de placer le religieux sur le registre de la rétribution : le bonheur et le paradis pour les personnes bonnes, le malheur et l’enfer pour les méchants. Jésus – qui pour les chrétiens n’est pas un simple messager ou un prophète parmi d’autres, mais l’incarnation de Dieu, de sa parole, de son message, de son alliance – nous fait sortir de ce registre du mérite. Il ne dit pas que l’homme mérite son malheur, mais il le guérit, signifiant que la maladie, la souffrance, ne font pas partie du projet de Dieu. Et nous comprenons ainsi que la puissance de Dieu n’est pas une force agissant sur les événements ou sur le matériel, mais qu’elle est en œuvre dans la capacité de Dieu d’aimer toute personne sans condition. C’est cet amour gratuit et gracieux qui peut nous permettre de traverser les épreuves, mais il n’agit pas par magie sur les événements eux-mêmes. Les quelques récits de miracles accomplis par Jésus et relatés dans les Évangiles sont des signes de ce désir de Dieu de lutter contre ce qui défigure les êtres humains et les coupe de la relation aux autres. Jésus n’explique pas le mal ni ne le justifie, mais il le combat. La réponse religieuse à la question de la souffrance et de la mort doit être sur ce registre : encourager, accompagner, être là par amour gratuit pour que cet amour porte du fruit en celui qui souffre et qu’ainsi il ne tombe pas dans le découragement et la fatalité, mais soit dans l’espérance, la foi, la charité.

Conversion
Autre repère que nous donne ce récit, et qui est au cœur du message chrétien et de ce que nous nous préparons à célébrer à Pâques : le Christ ne se contente pas de lutter contre le mal dont est atteint ce pauvre lépreux, mais il s’identifie à l’homme méprisé, culpabilisé et exclu : à la fin du récit, c’est Jésus qui ne peut plus entrer ouvertement dans une ville, mais doit rester à l’écart, dans des endroits déserts, comme le lépreux avant sa guérison. C’est un renversement total, qui peut faire penser à celui dont nous avons été témoins lors de la nuit de Noël, durant laquelle les plus pauvres des hommes, les bergers, ont pris le relais des anges, êtres célestes par excellence, pour chanter la gloire de Dieu. Ici, c’est Dieu, en Jésus, qui se retrouve à la place du lépreux. Nous osons exprimer ce renversement en mettant dans la bouche de Dieu ces mots un peu triviaux : « Vous les hommes, vous êtes fous, vous ne comprenez rien. Vous m’utilisez pour rejeter et condamner les gens avec des notions de pureté et d’impureté qui n’ont rien à voir avec mon amour offert à tous. Pour qui vous prenez-vous ? Vous osez instrumentaliser mon message pour agir à l’opposé de ce que j’essaie de vous faire comprendre et de vivre avec vous ! Si vous voulez jouer à ce jeu-là, alors voyez : je me mets du côté des impurs pour vous montrer l’absurdité de votre manipulation, et je partage la vie des exclus et des méprisés pour vous indiquer de qui je veux être proche en priorité. » C’est cela la véritable conversion : comprendre comme Dieu comprend, regarder comme Dieu regarde, aimer comme Dieu aime…

Olivier

2024-02-20T23:02:48+01:00

L’Évangile du mois de mars 2024

Dimanche 10 mars, nous vivrons le quatrième dimanche du Carême. Ce sera l’occasion de lire un Évangile relatant une belle rencontre entre Jésus et un pharisien.

Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean

En ce temps-là, Jésus disait à Nicodème : « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle. Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Celui qui croit en lui échappe au Jugement, celui qui ne croit pas est déjà jugé, du fait qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. »

Le contexte
Nous sommes au début de l’Évangile de Jean. Une rencontre a lieu de nuit avec un juif pieux, un pharisien appelé Nicodème. Cet homme sage vient interroger Jésus pour mieux le connaître et comprendre ce qui lui permet d’accomplir de tels prodiges.

À propos du serpent de bronze
Cet Évangile évoque l’épisode du serpent de bronze évoqué dans l’Ancien Testament. Lors des quarante années passées dans le désert, les Hébreux sont la proie de dangereux serpents et ils sont convaincus que Dieu les leur envoie pour les punir de leurs infidélités. Doute mortel qui prend figure de serpents venimeux. À leur demande, Moïse intercède pour eux. Il fait un serpent en bronze et le fixe à une perche. Le mal intérieur, caché, sera « élevé de terre », rendu visible sous la forme d’un serpent de bronze. Ceux qui avaient été mordus par un serpent pouvaient regarder le serpent de bronze, ils étaient alors sauvés.

Acte de magie ou acte de foi ?
En fait, Moïse, suivant les directives de Dieu, veut faire comprendre au peuple que les actes de magie sont vains. Ce n’est pas le serpent qui sauve mais bien Dieu. Jésus reprend alors cette histoire bien connue de ses interlocuteurs et fait un parallèle entre Moïse qui a dû utiliser un serpent de bronze élevé de terre pour sauver les Hébreux, et le fils de l’Homme, autrement dit lui-même, qui devra lui aussi être élevé de terre par la croix pour que l’humanité soit sauvée. L’évangéliste Jean voit donc dans le serpent de bronze une préfiguration du Christ crucifié.

Une réflexion sur la Croix
Le fait que Jésus consente à la croix est un acte d’amour indépassable, plus fort que la mort qu’il accueille. C’est pourquoi la croix ne sera pas pour lui enfouissement dans la terre, mais exaltation, élévation au-dessus de la terre.
Regarder le Christ crucifié, c’est regarder notre méchanceté et l’amour, son contraire, qui la surmonte. Notre mort est comme prise dans la mort du Christ. Nous pouvons ainsi prendre conscience de notre péché, et de l’amour qui a amené Jésus à s’en faire librement la victime.

Dieu a tant aimé le monde…
Cette Parole de Jésus synthétise en quelque sorte l’esprit du concile Vatican II dont nous fêtons le 60e anniversaire. Pour l’Église et donc pour chacun de ses membres, il s’agit de se mettre non pas dans une posture de jugement, regardant de haut les personnes, mais dans une posture d’accueil et de dialogue. Cela ne relativise pas les exigences de notre foi. Cela met les choses dans un ordre plus juste, plus conforme à l’Évangile. Il s’agit d’aimer le monde :
Aimer le monde, ce n’est pas dire que tout ce qui s’y vit est bon. Il n’y a pas de naïveté dans ces paroles.
Aimer le monde, c’est s’en sentir proche, c’est prier et travailler pour que celui-ci ressemble à ce que Dieu veut en faire. Aimer le monde, c’est collaborer au salut que Dieu nous donne.
Dieu a tant aimé le monde, pas seulement l’Église. Comprendre cela change notre compréhension de l’action de Dieu et de notre mission comme chrétiens.

Didier Rocca

Le nom du mois : les scrutins
Dans la vie démocratique, les scrutins permettent d’obtenir des élus. Dans la foi catholique, les élus sont ceux qui se préparent au baptême et qui après l’appel décisif célébré par l’évêque sont appelés « catéchumènes ».
Les scrutins lors des 3e-4e-5e dimanches de carême sont célébrés par exorcismes. Ces prières par lesquelles Dieu agit, rappellent aux catéchumènes que la liberté est un don que Dieu nous fait si nous acceptons de nous en remettre à Lui, de remettre nos fragilités et nos faiblesses entre ses mains. En disant cela aux catéchumènes, qui dans l’ardeur des commencements peuvent penser qu’ils viendront à bout de tous les obstacles, l’Église le dit aussi à toute la communauté. En effet, l’Église porte en elle l’expérience que le salut est donné gratuitement par Dieu. Elle porte l’expérience de tous ces combats, heureusement perdus, qui ont enfin ouvert la possibilité à l’Esprit saint d’agir. La place est alors ouverte à l’Esprit de Dieu qui seul est la Liberté, qui seul peut conduire vers le grand large. « Lui dont on ne sait ni d’où il vient ni où il va. »

(D’après un commentaire du Père Christian Salenson
dans la revue Points de repères en 2009)

2024-02-20T23:07:42+01:00

Lettre du Villard – janvier 2024

Lettre du Villard

Le Villard, le 15 janvier 2024

Très cher ami,
Il vous a fallu bien peu de temps pour répondre à nos vœux et nous adresser les vôtres. Vous ne serez pas surpris que je lise dans cet empressement un signe supplémentaire de l’amitié que vous nous portez. Tant de gens voient en effet dans cet échange, qui peut paraître formel, sinon une corvée du moins l’expression d’une obligation, dont on se libère lorsqu’on n’a vraiment rien d’autre à faire ! Je suis pourtant heureux que le respect des traditions nous conduise à ces attentions que véhiculent souvent des mots banals mais qui peuvent faire comprendre à ceux à qui ils sont destinés qu’ils ne nous sont pas indifférents.
Nous discutions tout récemment de cela, avec les amis du Villard. De la façon la plus traditionnelle qui soit, nous « tirions les rois », comme on disait autrefois, en nous demandant par quel effet les traditions se perdent. Le colonel Gastinel, d’humeur assez maussade parce qu’il avait trouvé la fève dans son morceau de gâteau des Rois, a avancé que les traditions se perdaient parce que, dans notre société qui n’accepte plus de règle, le simple respect des usages était perçu comme une contrainte. Sans aller réellement à l’encontre de son propos, Maître Béraud a ajouté que les traditions se perdaient lorsqu’on n’en comprenait plus leur raison d’être. « Je n’en resterais pas là, intervint Poulenc qui, venu se promener en raquettes avec des amis, nous gratifiait de sa présence ; ne continue-t-on pas de trinquer et de se serrer la main, alors que la plupart des gens ignorent l’origine de ces gestes1 ? Non, dit-il, je suis plutôt enclin à penser que les traditions suivent simplement les évolutions de la société. Dans un monde à peu près homogène, constitué de communautés de cultures proches, les traditions devaient être d’autant plus faciles à suivre qu’elles découlaient de modes de vie, de croyances religieuses et d’un rapport à l’environnement qui se ressemblaient. L’irruption d’autres cultures dans notre monde fait qu’un certain nombre de nos traditions n’ont plus de rapport avec la façon dont vit le plus grand nombre. » Mimiquet, avec qui nous étions heureux de trinquer en cette occasion, lui a fait remarquer que tout n’était pas à rattacher à l’irruption qu’il évoquait. « Elle n’est certainement pas sans effet, dit-il, mais elle a bon dos et elle n’explique pas tout. Vous n’allez tout de même nous dire que c’est elle qui provoque l’évaporation des chrétiens, catholiques, protestants et assimilés inclus ! Et qu’elle est la cause de la perte de sens de la fête de Noël pour le plus grand nombre ! »
Je leur ai rappelé notre dernier déjeuner de Toussaint au cours duquel vous aviez développé l’idée selon laquelle notre monde, disons notre société sinon européenne du moins française, évoluait, tout autant sous l’influence d’autres formes de civilisation venues d’ailleurs, que de son propre mouvement. Vous parliez d’une rivière qui s’écoule et dont les gouttes d’eau qui la composent voient avec inquiétude l’érosion des berges sous leur propre effet. Elles sont dans l’incapacité de modifier le cours des choses que déterminent sans doute la nature des terrains qu’elle traverse et la pente qu’elle suit. Vous filiez la métaphore en considérant que ce flot qui nous emportait tendait – du moins nous l’espérons – à nous faire gagner l’océan de notre épanouissement, où nous pourrions, sinon « Vivre sans temps mort, jouir sans entrave »2, du moins connaître la liberté et l’égalité auxquelles nous aspirons.
Gastinel avait à l’époque relevé que cette aspiration à plus de liberté et d’égalité, qui est dans notre nature et dont l’antagonisme est, selon lui, le moteur de notre société, ne trouve à s’exercer que dans un contexte historique et économique particulier dont la pérennité n’est pas certaine. Il nous a fait remarquer que ce qu’on lit dans la presse ces derniers temps incline à penser que cette pérennité est loin d’être assurée. « Mais encore ? » fit Béraud. « Eh ! Ne vous semble-t-il pas que, sous l’effet d’une opinion publique conditionnée, nous sommes de moins en moins égaux et de moins en moins libres ? L’inégalité de traitement entre ceux qui plaisent au courant de pensée dominant, sinon dans le pays du moins dans les médias, et ceux qui n’ont pas l’heur de leur convenir n’est-elle pas flagrante ? Et quelle est notre liberté, alors que les lois mémorielles3, par exemple, nous interdisent d’avoir une autre opinion que celle du législateur à un moment donné de l’Histoire ? Dans un autre domaine, n’entend-on pas les gens du spectacle, disons ceux qui ne sont pas cantonnés aux scènes d’art et d’essai, convenir qu’ils ne pourraient plus jouer tel sketch qui a fait rire le pays entier il y a quelques années ? On presse le législateur d’imposer en tout domaine ce qu’on doit penser de tout ce qui relève de notre conscience ou de nos convictions. Quelle liberté nous avons conquise ! On a reproché autrefois aux religions, puis, plus récemment aux nazis et aux staliniens, d’imposer une pensée unique et d’éliminer ceux dont l’indépendance d’esprit pouvait affecter leur conception de la société… » – « Vous n’allez tout de même pas nous dire que vous le regrettez ! » explosa Poulenc. « Non, bien sûr, reprit Gastinel, je voulais simplement souligner que l’Histoire montre que ceux qui entendent privilégier la société par rapport à l’individu imposent l’adhésion à leurs convictions et que je perçois dans cette réglementation qui nous dit ce qu’il ne faut pas dire un glissement vers quelque chose d’approchant. Que voulez-vous, l’égalité et la liberté ne font pas spontanément bon ménage et le mélange peut devenir détonnant s’il est mal dosé ! » Mimiquet eut le mot de la fin en lançant : « Et dire que nous en sommes arrivés là parce que le colonel a eu la fève ! »
Nous serons cependant heureux de connaître votre point de vue sur le point critique des mélanges…
Nous vous adressons à nouveau nos vœux les plus amicaux, en espérant que vous nous annoncerez bientôt votre venue pour les vacances d’hiver.

P. Deladret

  1. On prétend que ces gestes étaient censés montrer aux personnes qui les échangeaient qu’elles n’avaient pas l’une envers l’autre d’intention homicide ?
  2. Slogan situationniste de mai 1968.
  3. Lois donnant un point de vue officiel sur des évènements politiques.
2024-01-24T13:54:26+01:00

Édito février 2024 > Vivre sans Dieu ?

« Peut-on vivre sans Dieu ? » C’est la question que nous nous sommes posée avec les aînés lors d’une soirée discussion pendant le camp de ski à Larche à Noël. Ça a été l’occasion d’un bel échange. Nous nous sommes d’abord posé la question de ce que signifiait « vivre », et nous avons fait la distinction entre « donner du sens à sa vie » et « survivre » – c’est-à-dire les choses élémentaires comme se nourrir, se vêtir, s’abriter, se protéger des intempéries, des dangers et des ennemis potentiels, être en bonne santé, se reproduire… Et nous sommes convenus que la réponse est assez claire sur cette question de la survie, que nous partageons avec le monde animal : il est tout à fait possible de se passer de Dieu, de spiritualité ou de religion pour cela. Par contre, pour ce qui est de la question de donner du sens à sa vie, la réflexion est importante et la réponse moins évidente.
Dieu / Religion / Spiritualité
Nous avons alors approfondi la question, en distinguant Dieu, la religion et la spiritualité. Nous ne pouvons que constater que beaucoup de nos contemporains ne se retrouvent pas dans les religions, et qu’ils s’en passent sans pour autant être de mauvaises personnes. Donc, oui, effectivement, on peut vivre vivre sans religion. Pas besoin de religion pour avoir des principes et des repères dans son existence, et pour bien vivre avec les autres.
Pour ce qui est de la spiritualité, nous constatons que c’est une dimension importante dans la vie de beaucoup de personnes, mais que cette notion est tellement large qu’elle peut être, pour certain, déconnectée de la transcendance et du rapport au divin. C’est parfois un rapport à soi-même qui est recherché dans certains courants spirituels ou pratiques de méditation, un rapport à la nature, à la respiration, à la contemplation…

Envisager Dieu
Pour ce qui est de « vivre sans Dieu », nous ne pouvons répondre à cette question que si nous arrivons à préciser ce que nous entendons par « Dieu ». Lors de nos échanges, nous nous sommes posé la question de savoir si ce que nous nommons Dieu est un grand marionnettiste qui décide de tout ce qui se passe sur terre et dans nos vies, et nous ne nous sommes pas reconnus dans cette conception qui induit une religion magique qui ne rendrait pas les personnes libres. Nous ne nous sommes pas reconnus non plus dans une vision d’un Dieu qui serait un juge, qui pèserait nos vies à la balance pour voir si nous mériterions, selon nos actions bonnes ou mauvaise, la récompense ou la punition. Dans ce que nous avons compris du message chrétien, la justice de Dieu n’est pas une justice de condamnation, mais une justice de rétablissement dans la dignité, de réaction contre l’injustice, de lutte contre le mal en nous pour mettre en valeur le bien, le bon et le vrai.

Dieu, source de tout amour
Nous en sommes arrivés à la conclusion que ce que nous appelons Dieu, c’est la source de tout amour, qu’il est présent dans toute personne, dans toutes les relations, et qu’il n’a pas de frontière, pas même celles que nous savons si bien dresser entre croyant et non-croyant, entre pratiquant et non-pratiquant, ou entre les religions. Si Dieu est amour, alors sa puissance se révèle dans sa capacité à se donner à tout le monde et à être totalement gratuit, en dehors de toute notion de mérite. La force de l’amour, ce n’est pas d’agir sur les événements ou les éléments, mais de transformer les cœurs. Ainsi nous pouvons répondre, après toutes ces précisions, que personne ne peut vivre sans Dieu, c’est-à-dire sans amour. Même si les gens ne se reconnaissent pas dans les discours des religions ou les conceptions de Dieu proposées par les grands courants spirituels, cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas habités par l’amour de Dieu. Nous nous devons de respecter leur conception d’une vie sans Dieu, mais, comme croyants, nous ne pouvons pas cesser de croire que Dieu est présent dans leur vie et qu’il est la source de ce qui y est beau, bon et vrai. Notre mission consiste aussi à savoir nous émerveiller de cette présence de Dieu en chaque personne humaine.

Mettre en pratique l’amour reçu
Cette manière de voir les choses peut nous permettre aussi de comprendre pourquoi les croyants donnent une grande importance à la religion : elle est le moyen de toujours mieux comprendre la bonne nouvelle chrétienne et de la vivre concrètement par des pratiques religieuses qui ne sont pas dans le registre du mérite – comme s’il fallait être un bon pratiquant des rites religieux pour être aimé de Dieu – mais parce que nous avons besoin que notre foi soit vécue concrètement, physiquement et communautairement, car nous sommes des êtres incarnés pour qui l’essentiel passe par notre corps. Les pratiques rituelles et religieuses ne sont pas des fins en soi, elles aident les croyants à toujours mieux comprendre qu’ils sont habités par l’amour, et que la réponse à cet amour reçu gracieusement se manifeste dans l’amour donné gratuitement aux autres.

Dieu, une personne
Cette acception de Dieu comme amour peut sembler incompatible avec la personnification de Dieu dans les grandes religions monothéistes. Pour les croyants c’est très cohérent : l’amour se donne à voir et se vit en nous, mais aussi et surtout dans les relations que nous établissons les uns avec les autres. Le récit biblique inaugure, avec le peuple hébreu, cette relation entre le Dieu d’amour et les hommes, le plus souvent par l’intermédiaire des prophètes. Pour les chrétiens, cette relation interpersonnelle entre Dieu et l’humanité s’accomplit pleinement dans son incarnation en Jésus. Par sa proximité avec nous, Jésus amène l’humanité à comprendre et à accueillir ce qu’il désire que nous vivions avec lui et les uns avec les autres : une relation de confiance, de fraternité, de filiation qui transforme toutes nos relations humaines en relation d’amour.

Olivier

2024-01-30T18:45:34+01:00

L’Évangile du mois de février 2024

Le 4 février prochain, nous entendrons le résumé d’une journée de Jésus à Capharnaüm. Le moins que l’on puisse dire est qu’il ne chôme pas…

Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc

En sortant de la synagogue, il se rendit à la maison de Simon et André, avec Jacques et Jean. La belle-mère de Simon était au lit avec de la fièvre : tout de suite ils lui en parlent.Jésus s’approche et la soulève en la prenant par la main : la fièvre la quitte et elle commence à leur faire le service. Au soir, dès que le soleil fut couché, on commença de lui amener tous ceux qui souffraient de maladies ou de démons. 33 La ville entière se pressait devant sa porte. Jésus guérit de nombreux malades, atteints de diverses maladies, et chassa de nombreux démons. Mais il ne laissait pas parler les démons, car ils l’avaient reconnu. Au petit matin, alors qu’il faisait encore nuit, Jésus se leva, sortit et s’en alla dans un lieu désert. Il y resta en prière. 36 Simon et ses compagnons se mettent à sa recherche et, quand ils le trouvent, ils lui disent : « Tout le monde te cherche. » Il leur dit alors : « Sortons d’ici, allons aux villages voisins pour que j’y prêche aussi ; c’est pour cela que je suis sorti. » Il alla donc prêcher dans leurs synagogues par toute la Galilée ; il chassait aussi les démons.

Le contexte
Marc se fait l’écho tout au long de l’Évangile de la pensée de Pierre. Nous sommes au début de l’Évangile de Marc. La scène se situe à Capharnaüm, ville où habite Pierre. Jésus vient d’appeler quatre pêcheurs de métier Simon (Pierre), André, Jacques et Jean. Ensuite, il enseigne avec autorité dans la synagogue. Marc poursuit le récit d’une journée-type de Jésus et résume en quelque sorte toute l’activité de Jésus durant ces trois années de vie publique.

Que fait-il ?
Il guérit les malades, chasse les démons. Et dans ce rythme effréné, Jésus nous montre qu’il n’oublie pas l’essentiel dans son désir de prendre de la distance et de prier. Enfin, Jésus ne reste pas enfermé dans un lieu, une activité, il part. Sa vie est itinérante. Il est toujours en mouvement.

Un secret mal gardé
Au verset 34, une phrase énigma-tique : « Jésus ne laissait pas parler les démons, car ils l’avaient reconnu. ». Pourquoi donc ce secret ? Personne ne parvient à connaitre Dieu en quelques jours. Il faut un long temps d’amitié avec Dieu, avec le Christ pour le connaitre vraiment et pour pouvoir en dire quelque chose de vrai. Des définitions ne nourrissent pas le cœur si elles ne sont pas habitées d’un vrai amour. Une juste compréhension de l’identité de Jésus passe nécessairement par la Croix.

Quel est donc le sens de toutes ces guérisons ?
Une carotte pour attirer les gens afin qu’ils croient ? Ce serait terriblement choquant. Les miracles en général et les guérisons en particulier sont des signes pour dire que le Royaume de Dieu vient, qu’il s’approche. S’il est vrai que le risque est grand de repartir guéri sans avoir rencontré Dieu, Jésus l’assume. Petit à petit, il rapprochera guérison physique et conversion du cœur, miracle et foi.

Pour actualiser
Enfin, l’attitude de Jésus en tant qu’évangélisateur dit quelque chose de notre attitude. L’action (servir, soulager) et la contemplation (prier, faire silence) doivent aller de pair. Voici quelques phrases de notre ancien évêque Mgr Georges Pontier qui résume ce nécessaire équilibre :
« Tel est le beau défi du christianisme : tenir en même temps l’amour de Dieu et l’amour des frères, la mystique et le social, l’approfondissement de la vie spirituelle et le dynamisme de l’engagement pour les plus pauvres. Il s’agit pour nous de ne pas réduire le christianisme à des exercices de piété désincarnés, ni à un engagement humaniste sans intériorité ni référence à Dieu » (Lettre pastorale, Pâques 2011).

Didier Rocca

Le nom du mois : se lever
Le matin du sabbat, le samedi matin, Jésus prend la belle-mère de Pierre et l’aide à se lever. Le dimanche matin à la première heure, Jésus se lève pour aller rencontrer son Père. Au matin de Pâques, le Père fera relever Jésus d’entre les morts. Autrement, dit le verbe « se lever » dit beaucoup plus qu’une attitude du corps, il évoque la résurrection. Pour Marc, se lever est synonyme de ressusciter.

2024-01-24T13:53:03+01:00

Le conte pour Noël – décembre 2023

Le conte pour Noël

Décembre 2023

Nous allions volontiers voir la crèche de l’Oncle Émile. D’abord, parce que comme la famille lui faisait visite le Jour de l’An, il nous glissait dans la main nos étrennes, en se dissimulant des parents qui, pourtant, ne perdaient rien de son manège. Ah ! Les étrennes de l’Oncle Émile ! C’était quelque chose ! Pour tout dire ce n’était qu’un petit billet de cinq francs, vous savez un de ces Victor Hugo, qui paraissait se languir d’entrer au Panthéon qui était sur le billet derrière lui. Mais, ce qui rendait ces étrennes extraordinaires, c’était le billet lui-même. C’était, en quelque sorte, une œuvre d’art. l’Oncle Émile avait dû le lisser, l’aplanir, le plier et le replier de telle façon qu’il ressemblait à une de ces feuilles de papier à cigarettes qu’il roulait entre ses doigts. Son frère, notre grand-père, prétendait qu’il les repassait à la pattemouille. Il faut dire que l’Oncle Émile était un peu original ; c’était un « vieux jeune homme », comme disait sa sœur, entendant par là qu’il ne s’était jamais marié et qu’il s’était avancé en âge sans s’assagir.
Mais la véritable raison qui faisait que nous aimions tant aller voir la crèche de l’Oncle Émile c’était qu’elle n’était jamais la même. Oh ! Bien sûr, comme tout le monde, d’une année sur l’autre, il changeait l’étable de place (à moins que la fantaisie ne lui prenne de la mettre dans une grotte), il déplaçait le ruisseau ou le moulin, mais si ce n’avait été que pour ça, on n’en aurait pas parlé. Non, ce qui était unique chez l’Oncle Émile, c’était que, d’un jour à l’autre, sa crèche était différente. Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas : il se serait bien gardé de toucher à la Sainte Famille, même s’il ne mettait jamais les pieds à l’église. Une fois qu’il avait placé Marie et Joseph, il attendait l’Enfant Jésus et son sourire qui, d’après lui, semblait dire « J’ai pris votre apparence pour que vous me ressembliez ». Seulement, l’Oncle Émile ne supportait pas l’idée que la vie de la crèche s’arrête à partir du moment où arrivait le saint Enfant et qu’on n’ait plus qu’à attendre la Chandeleur, pour tout remettre dans le carton. « Pensez un peu, disait-il, à tous ces santons qui restent plantés là devant l’étable. L’adoration, la louange, c’est bien, mais ça n’a qu’un temps. Alors, j’essaie de leur donner un peu de vie, de leur faire raconter ce qui, d’après moi, aurait pu s’y passer. Vous vous doutez bien que lorsqu’ils ont entendu l’Ange Bouffareou, les santons n’ont pas tout laissé en plan pour aller voir l’Enfant-Jésus. Ou alors, les gens étaient bien différents de ce qu’ils sont aujourd’hui. Alors, je les fais arriver petit à petit. Je m’imagine que les notables se sont débrouillés pour être là les premiers, quitte à marcher un peu sur les pieds des autres. Je vois bien Margarido sur son âne, Jourdan, Roustido et tutti quanti. Une fois qu’ils ont pu s’assurer que tout le monde les avait reconnus, ils ont sans doute trouvé un prétexte pour retourner se mettre au chaud. Il faut dire que la placette commence à être noire de monde. Les braves gens qui sont venus pour voir la Merveille et pour remercier Jésus de prendre le risque de se faire homme, la Femme à l’enfant, l’Aveugle, les musiciens, je me les imagine pressés par ceux qui viennent avec leurs offrandes, le pêcheur, le boulanger, le chasseur et tous les autres. Je me dis chaque année, continuait l’Oncle Émile, que ces gens-là, qui se connaissent, doivent se saluer, prendre des nouvelles les uns des autres, qu’ils ne sont pas confits en dévotion et qu’au contraire, ils se réjouissent du bonheur qui leur arrive. Mais je me dis aussi que le temps passe, que la Femme au berceau se rend compte qu’elle doit nourrir son enfant, que la Bugadière dit à la Poissonnière : « Mon Dieu ! Madame Luce ! Avec toutes ces émotions, j’oublie le fricot sur la braise ! Adesias, je me sauve » ; ne parlons pas du Pescaïre qui ne peut pas rester trop longtemps avec ses poissons. Alors, ils vont, viennent, reviennent. Vous vous doutez bien que les moutons ont rapidement obligé les bergers à les suivre vers leur pâture. Ce qui n’empêche pas le Maître berger de venir reprendre sa méditation, de temps à autre. Et le Boumian ! Croyez-moi qu’il a fallu qu’il vienne plusieurs fois pour être convaincu de la noirceur de son âme ! Ne parlons pas du meunier ! Vous le voyez ici ? Il remonte au moulin, d’où il redescendra dans quelques jours avec un nouveau sac de sa farine la plus fine. Et les Rois Mages ! Il a bien fallu leur faire un peu de place, avec leurs chameaux et tout leur train, mais tout le monde sait qu’ils ne restent pas longtemps ».
Et comme ça, de semaine en semaine, l’Oncle Émile racontait chaque année à sa façon une histoire des santons de sa crèche. De façon presque insensible cependant, au fil des jours, leur nombre diminuait. Ceux qui avaient un métier, le rémouleur, le garde champêtre, le porteur d’eau et quelques autres étaient retournés à leur travail. Puis les commères avaient dû trouver d’autres endroits pour se raconter leurs malheurs. Peut-être même saint Joseph leur avait il fait comprendre que leurs bavardages empêchaient Jésus de dormir. De jour en jour, le petit monde des santons se retirait. Seuls étaient toujours là l’homme au fagot et sa femme, qui pendant des semaines avaient fait les allers et venues entre la colline et l’étable. Dans les jours qui précédaient la Chandeleur, l’Oncle Émile les installait définitivement devant l’Enfant Jésus. « Ceux-là, nous dit-il un jour, ce sont mes préférés. Ils sont vieux, tout cassés, tellement pauvres qu’ils n’ont à donner qu’un peu de bois sec pour réchauffer la Sainte Famille. Et ils restent jusqu’à la fin car ils savent bien qu’on n’est jamais trop bon pour le Bon Dieu ».
Nous n’avons compris que bien plus tard que ce « vieux jeune homme » qu’était l’Oncle Émile avait peut-être souffert de ne pas avoir connu un foyer auquel il se serait réchauffé.

J. Ducarre-Hénage

2023-12-22T08:55:19+01:00

Édito janvier 2024 > Le sens de l’Épiphanie

Depuis les débuts de l’Œuvre, Jean-Joseph Allemand, son fondateur, a proposé que la solennité de l’Épiphanie soit la plus grande fête pour les jeunes qui fréquentent la maison. Nous la célébrons encore de nos jours avec fidélité, et nous lui donnons un sens qui peut accompagner les jeunes vers une meilleure compréhension de ce que Dieu vient vivre avec chacun de nous en se faisant proche par l’humanité de Jésus.

Union entre le ciel et la terre
À Noël, nous comprenons que Dieu vient habiter notre terre, qu’il noue une relation avec nous, non pas en surplombant notre humanité – soit par le jugement soit par la condescendance – mais en venant partager notre condition, en choisissant de s’identifier aux plus petits, aux plus pauvres et aux plus méprisés. Ainsi aucune femme ni aucun homme ne peut penser qu’il est indigne de la rencontre avec Dieu, puisqu’il a fait le choix de ne pas mettre de distance morale ou sociale avec les personnes qu’il a rencontrées. Dans les récits de la nuit de Noël, ce sont les bergers, les plus bas dans l’échelle sociale de l’époque de Jésus, qui sont montrés comme prenant le relais des anges, les plus haut placés dans la hiérarchie céleste, pour annoncer la naissance du Messie, et pour chanter sa gloire aux personnes venues découvrir ce qui se passait dans l’étable de la nativité. Symboliquement, il n’y a plus de séparation entre le monde de Dieu et le monde des hommes, entre le ciel et la terre, entre le haut et le bas.

Union entre les hommes
À l’Épiphanie, ce sont des mages venus d’Orient – des savants étrangers – qui viennent rendre hommage à Jésus comme prince de la paix. Ils lui offrent des cadeaux en signe d’adoration, et par leur présence, nous donnent de comprendre que le message de Dieu incarné dans l’enfant de la crèche est universel et qu’il abolit les murs de séparation entre les hommes. Jésus, tout en étant un enfant juif, né dans une famille juive et totalement pétri de la foi biblique, nous montre que la vocation du peuple hébreu, aujourd’hui comme hier, est d’être un signe de l’alliance de Dieu avec toute l’humanité, alliance qui ne se réduit pas au peuple juif ou aux bons pratiquants. On peut dire la même chose de l’Église catholique : sa vocation est d’être le signe et le moyen de la relation de Dieu avec tout le monde, sans aucune limite. Elle n’a pas pour vocation de se préoccuper de son fonctionnement ou de sa survie, elle doit être focalisée sur l’accompagnement de la rencontre de l’humanité avec Dieu qui fait le premier pas vers elle. Pour Dieu, nous sommes tous des filles et des fils d’adoption, aimés et accompagnés, guidés et encouragés, appelés à répondre à son alliance en mettant l’amour au cœur de notre vie et dans nos relations avec les autres.

Mise en œuvre pour nous aujourd’hui…
Pour les jeunes de l’Œuvre, cela peut se déployer de diverses manières dans leur vie. Entre autres, en les invitant à comprendre qu’il n’y a pas plusieurs dieux, mais un seul, qu’il est le même pour tous, et que toutes les religions, à leur manière, avec des textes, des rites et des discours différents, sont des moyens pour aider les hommes à mieux comprendre Dieu et à entrer en relation avec lui. De ce fait les jeunes peuvent comprendre que les guerres de religions n’ont pas de sens et qu’il ne devrait pas y avoir de concurrence entre les croyants, sauf celle de la charité ; comme le disait un aumônier juif lors d’une rencontre interreligieuse avec des jeunes : « Si tu veux me prouver que ta religion est la meilleure, alors montre-moi ce que tu fais de bien pour les autres, c’est cela seul qui compte aux yeux de Dieu, et sûrement pas de te battre contre les autres en son nom ! »
Autre éclairage pour les jeunes de l’Œuvre, grâce aux fêtes de la Nativité et de l’Épiphanie : l’accueil du pauvre et de l’étranger. Ils sont présents dans ces récits et leur place est mise en valeur de manière très insistante pour nous faire comprendre que c’est un véritable choix de la part de Dieu. Il désire que tout le monde se sente en capacité d’être rejoint par lui, surtout ceux qui seraient pointés du doigt comme indignes, exclus ou trop mauvais. Personne n’est indigne de la relation et de l’amour de Dieu qui ne fait pas de frontière entre les hommes. Pour nous, cela veut dire que nous nous devons d’être les instruments de ce désir de Dieu de signifier la dignité de toute personne et de travailler à la fraternité universelle sans exclusion. Si nous faisons partie d’un groupe, d’une communauté, d’une religion, d’une Église, ce n’est pas pour nous séparer des autres et mettre des frontières entre nous, c’est pour mieux nous donner les moyens de comprendre et d’expérimenter la fraternité afin de pouvoir lui donner une dimension universelle.
Encore un autre éclairage qui peut nous guider dans toute notre vie, c’est l’abolition de la séparation entre le monde de Dieu et le monde des hommes. Nous ne sommes pas des individus cloisonnés, ni entre nous ni en nous. La dimension spirituelle et religieuse n’est pas séparée de la dimension sociale et politique de notre existence. Les deux registres, bien que très différents, interagissent et sont les deux mouvements d’une même respiration. Notre relation à Dieu nous donne de nous transcender et de donner un sens à notre existence en comprenant qu’elle est unique, impérissable et précieuse, car nous sommes aimés de manière absolue ; et notre relation aux autres est le lieu de la mise en œuvre concrète et incarnée de cet amour. Notre réponse à l’amour reçu de la part de Dieu, c’est d’aimer à notre tour toutes celles et tous ceux qu’il nous est donné de rencontrer au long de notre parcours de vie.

Olivier

2023-12-22T08:50:43+01:00

L’Évangile du mois de janvier 2024

Le 14 janvier, ce sera la grande fête de l’Œuvre mais ailleurs, dans le monde entier, nous célèbrerons le 2e dimanche du temps ordinaire avec un bel Évangile écrit par saint Jean.

Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean

Le lendemain, Jean-Baptiste était là de nouveau, et deux de ses disciples étaient avec lui. Jean-Baptiste fixa son regard sur Jésus qui passait et il dit : « Voici l’agneau de Dieu. » Lorsque ces deux disciples l’entendirent, ils allèrent et suivirent Jésus. Jésus se retourna et vit qu’ils le suivaient ; alors il leur dit : « Que cherchez-vous ? »
Ils lui dirent : « Rabbi (c’est-à-dire Maître), où demeures-tu ? » Jésus leur dit : « Venez et vous verrez ! »
Ils vinrent donc pour voir où il restait, et ce jour-là ils demeurèrent avec lui. Il était environ quatre heures de l’après-midi. L’un de ces deux disciples qui avaient écouté Jean et avaient suivi Jésus, était André, le frère de Simon-Pierre. Il alla d’abord trouver son frère Simon et lui dit : « Nous avons trouvé le Messie ». Et il l’amena à Jésus. Jésus le regarda et dit : « Tu es Simon, fils de Jean ; tu t’appelleras Képhas » (ce qui veut dire Pierre).

Le contexte
Nous sommes au début de l’Évangile de Jean, au lendemain du baptême de Jésus dans les eaux du Jourdain. Et le « Verbe fait chair » ne perd pas de temps puisque ce passage raconte l’appel de ses trois premiers disciples.

Jésus passait…
Les disciples de Jean-Baptiste sont comme nous, en recherche de la Vérité, ils marchent mais ils sentent bien que Jean-Baptiste n’est qu’un intermédiaire qui va leur faire découvrir quelqu’un de plus grand encore. C’est sans mérite de leur part qu’ils rencontrent Jésus. « Jésus passait » nous dit-on. C’est son œuvre principale, passer et nous faire passer avec lui de la mort à la vie.

Où demeures-tu ?
La question des disciples est étonnante. Si tu avais Jésus face à face, quelle question lui poserais-tu ?
Certainement pas celle du lieu où il demeure. Et pourtant, la demeure de Dieu qui intéresse tant les deux disciples est un thème très présent dans la Bible. Pour les juifs, c’est à Jérusalem, dans le Temple, que Dieu trouve son « repos ». C’est là que l’on viendra adorer Dieu et offrir des sacrifices. Plus tard, le peuple sera déporté et le temple détruit. Dès lors on comprendra mieux, ce que l’on sentait déjà confusément : Dieu est là où je me trouve si toutefois j’accepte de l’accueillir. Comment ? En accueillant les autres. Cette « réunion » fraternelle n’est pas forcément concrète : l’amour peut se vivre par la prière. Cette fraternité prend visage dans notre communauté rassemblée à la messe.

Un autre passage…
On va passer de l’Ancienne Alliance (les disciples du Baptiste en sont encore là) à la Nouvelle. « Venez voir », leur dit Jésus. Remarque l’abondance du verbe « voir » dans ce récit : on passe de l’audition à la vue, ainsi on entre dans la demeure de Dieu. Bientôt, il faudra en sortir et, plus tard, aller par le monde pour annoncer un Christ redevenu invisible puisque ressuscité. Le nouveau temple échappe au regard et n’est plus localisable. Il est fondé sur le Oui de Pierre.

Une nouvelle fraternité
Tu remarqueras que cette nouvelle fraternité autour de Jésus se constitue à partir d’une fraternité humaine puisqu’André et Pierre sont déjà frères. Jésus ne supprime pas les liens familiaux, il les élargit à la famille humaine.

Pour actualiser
« Venez et voyez » dit Jésus. Sois attentif cette semaine à ce que Jésus fait pour toi. Dans un même mouvement, communique à tes proches ces découvertes. C’est cela l’évangélisation qui passe toujours par le témoignage ! Ce n’est pas faire de la communication ou de la publicité pour Jésus mais c’est le laisser rayonner dans ta vie et par conséquent, donner à voir cette joie que tu portes !

Didier Rocca

Le nom du mois : agneau
De nos jours, l’agneau évoque un animal bien fragile, tout juste capable de bêler. Pour les disciples de Jean, l’agneau évoque immédiatement l’agneau pascal, égorgé et consommé la veille du départ d’Égypte vers la Terre promise. Cet animal évoque aussi la protection de Dieu : l’ange exterminateur qui viendra ravager l’Égypte passera (Pâque signifie passage) sans donner la mort devant les portes des Hébreux, marquées du sang de cet agneau. C’est donc à la Pâque que renvoie le thème de l’agneau. C’est dans le Christ que va se réaliser tout ce que l’agneau biblique préfigurait. C’est pourquoi à la messe pour parler de Jésus, on dit : « Voici l’agneau de Dieu… »

2023-12-22T08:53:12+01:00

Lettre du Villard – novembre 2023

Lettre du Villard

Le Villard, le 15 novembre 2023

Cher ami,
Les pluies abondantes qui sont tombées au Villard depuis votre départ nous ont un peu obligés à modifier nos habitudes, mais nous en sommes ravis. Nous redoutions jusqu’alors que notre vallée ait été condamnée à une sécheresse éternelle, et nous nous apprêtions à sommer le Grand Fontainier de respecter la « comptabilité céleste » qu’invoque ce pauvre Jean de Florette1. Nous n’avons pas dû aller jusqu’à ces extrémités. Les sources ont retrouvé leurs débits et, parait-il, « les nappes phréatiques se rechargent ». La marge de progression, comme on dit maintenant, est encore importante mais les bonnes nouvelles sont trop rares, n’est-ce pas, pour les dédaigner.
Ce que vit en effet notre monde nous incite à traquer la moindre lueur d’espoir. Le caractère assez régulièrement partisan des informations que nous recevons ne nous permet pas de savoir si des perspectives d’armistice en Ukraine sont vraisemblables et l’idée d’un cessez le feu au Proche-Orient n’apparaît pas parmi les hypothèses les plus sérieuses. Ces conflits ne nous sont pas frontaliers mais par divers aspects ils nous concernent. Gastinel faisait remarquer l’autre jour qu’on prêtait à Roland Dorgelès l’invention en 1939 de l’expression « la drôle de guerre ». Et il se demandait si nous ne vivions pas «une drôle de paix ». « Espérons, fit Beraud, que la drôle de paix s’étendra assez vite pour que le scénario d’une drôle de guerre ne devienne pas l’exutoire en quelque sorte nécessaire de la situation ». L’ami Mimiquet, qui nous avait apporté quelques châtaignes à griller pour accompagner un Pinot gris dont Beraud nous avait dit merveille, nous a fait remarquer, en nous montrant son agenda, qu’à la date du 11 novembre, on ne célébrait plus l’armistice de 1918, mais les « morts pour la patrie ». Gastinel, toujours très au fait du protocole, a indiqué qu’effectivement depuis 20122 la dénomination de la journée avait été modifiée. « Il n’y avait plus trop de raison, du fait de la disparition des derniers poilus, a-t-il commenté, de rappeler particulièrement le souvenir de cette guerre ». Beraud n’a pu s’empêcher d’évoquer Brassens en chantonnant :« Moi, mon colon, cell’que j’préfère/ C’est la guerr’de quatorz’dix-huit ! »3 et il a souligné que si ce conflit restait aussi présent dans les esprits, c’était bien parce qu’il avait anéanti autant de jeunes gens issus de la conscription, rendant ainsi l’« impôt du sang » insupportable. Un peu remonté – était-ce l’effet du Pinot (que Gastinel s’obstine à appeler Tokay par un effet de snobisme déplacé au Villard ) ? – Mimiquet a lancé : « Il vaudrait mieux consacrer cette journée à ceux qui sont morts pour les profiteurs et pour les idéologues, car enfin, on ne fera croire à personne que ceux qui ont été obligés de se faite tuer avaient vraiment accepté de mourir « pour la Patrie ». Ainsi une opprobre éternelle collerait-elle sur cette engeance à l’origine de toute guerre, comme la tunique de Nessus ! »4 « «Mazette ! s’exclama Béraud. Vous n’y allez pas avec le dos de la cuillère, disons avec le plat du sabre. Ceci dit, mais n’est ce pas le cas de presque toutes les guerres ? Regardez ce qui s’est passé, pendant la Révolution et l’Empire. On est discret sur le nombre de morts de cette hécatombe permanente dont on fait sonner les noms des victoires en oubliant qu’au bout du compte, en 1815, ces victoires et ces lauriers qu’arboraient les maréchaux inconstants n’avaient rien rapporté au pays ».
Vous nous manquiez, croyez-moi, pour renouveler le débat, aussi n’ai-je pas été surpris que Gastinel reviennent sur les deux tragédies entre lesquelles clapote notre « drôle de paix ». Son analyse est que les deux guerres en cours, du moins celles dont on parle, sont de nature différente en ce sens que, pour autant qu’ils ne conduisent pas à un embrasement général, les deux conflits nés de contestations d’occupations territoriales, ne peuvent avoir des issues similaires. La guerre en Ukraine, pense t-il, aura nécessairement une conclusion, alors qu’il n’est pas certain que les hostilités au Proche Orient puissent en connaître une. Dans un cas, dit-il, les motivations sont, si on peut dire, classiques, c’est-à-dire territoriales et donc essentiellement politiques. La volonté de constituer un glacis protecteur autour de son pré-carré est millénaire. En revanche, au Proche-Orient, la cause des combats lui paraît moins politique qu’idéologique, portée moins par un intérêt que par des convictions. Et, ce qui ne facilite pas les choses, ajoute t-il, c’est que la création sur ce territoire d’un État désormais au cœur du conflit a été favorisée au début du xxe siècle par les puissances occidentales qui n’aimeraient pas maintenant en subir les conséquences. Béraud lui ayant fait remarquer, sans le convaincre, qu’il paraissait un peu naïf de croire que la Russie n’avait pas d’objectif caché d’expansion, Gastinel lui a objecté que les arrières pensées des uns et des autres n’avaient rien à envier à celles de ceux qui les encouragent ou les conspuent. « J’en parle en connaissance de cause ; dans ma jeunesse chevelue, j’ai défilé en criant avec les autres “Paix au Viet-Nam !” comme le nigaud de la chanson de Brel5 ; j’étais sincère, comme la majorité des gens, mais nous ne nous rendions pas compte que nous étions les jouets de l’agitprop soviétique6 qui entendait ainsi déconsidérer les américains. Alors, de qui sommes-nous les jouets ?… »
Votre dernière lettre montre que vous en êtes au même point d’interrogation que nous ; peut-être vos idées sont-elles moins tranchées… Vous êtes un peu plus optimiste. Je vous accorde le crédit d’une moindre sclérose intellectuelle.
Nos amis se joignent à moi pour vous souhaiter une bonne fin de trimestre et – pourquoi pas ? – un Avent fervent.
Avec notre amitié.

P. Deladret

  1. Jean Cadoret, dit Jean de Florette, personnage principal du 1er tome de L’Eau ses Collines de Marcel Pagnol, 1963.
  2. Loi n° 2012-273 du 28 février 2012 , fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.
  3. Georges Brassens, 1962, dans l’album « Les trompettes de la renommée ».
  4. Tunique imprégnée du poison que contenait le sang de l’hydre de Lerne donnée par Nessus à la femme d’Hercule .Celui-ci, l’ayant revêtue, ne put s’en défaire et se jeta sur un bûcher pour échapper à ses souffrances.
  5. Il s’agit de la version 1967 des Bonbons, chanson de Jacques Brel sur l’album « Jacques Brel 67 ».
  6. Mode de communication, théorisé par les Soviétiques, conçu pour jouer sur l’émotion des foules.
2023-12-22T08:55:38+01:00