Certaines formulations chrétienne sont ambiguës et peuvent être source de malentendus. Ainsi au sujet de la Passion du Christ, on pourrait comprendre que c’est le passage par la souffrance et la croix qui donne sa gloire à Jésus, comme s’il fallait qu’il passe par ce chemin douloureux pour être véritablement divinisé : « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » (Lc 24, 26) ou « Celui pour qui et par qui tout existe voulait conduire une multitude de fils jusqu’à la gloire ; c’est pourquoi il convenait qu’il mène à sa perfection, par des souffrances, celui qui est à l’origine de leur salut » (He 2, 10).
La gloire par l’amour
Quand on connait la vie de Jésus et le message chrétien, on ne peut qu’être troublé par cette idée d’un Dieu qui voudrait que le Christ souffrit pour qu’il atteigne son accomplissement. Comment comprendre ces expressions ? En fait ce n’est pas la souffrance qui est chemin de perfection, mais l’amour ; et l’obéissance au projet d’amour absolu de Dieu. Projet que le Christ met en œuvre de manière totale et parfaite. C’est parce que le Christ va jusqu’à l’extrême du pardon face à ses bourreaux et qu’il continue d’aimer face à la haine qu’il accomplit de manière définitive le projet de Dieu. Le récit de la transfiguration nous aide à comprendre que ce n’est pas la souffrance ni la mort qui entraînent la gloire de Jésus, mais sa relation au père, relation d’amour et de confiance. Il n’y a rien de masochiste dans l’attitude de Jésus qui, s’il assume les conséquences de l’amour donné sans condition, ne cherche pas la souffrance mais l’accepte si elle doit être sur le chemin de son engament total envers l’humanité. Et c’est bien cela qui fait sa gloire : rien ne l’empêche d’aimer et de se donner, pas même la peur de la souffrance, ni la trahison, l’injustice ou la haine. En lui se révèle la perfection de l’amour absolu et tout puissant. En cela il incarne totalement le projet d’amour de Dieu pour l’humanité, il se dévoile dans sa divinité accomplie et absolue.
Chemin de perfection
Pour nous, qui sommes associés à la divinité de Jésus par fraternité et adoption, l’accomplissement n’est pas réalisé. Cependant, nous sommes invités à prendre ce chemin de perfection d’amour. Il est clair que nous sommes loin d’atteindre l’idéal révélé en Jésus Christ, mais cet idéal est notre vocation. Nous avançons, chacun à notre rythme, de manière parfois chaotique, sur les traces du Christ qui nous ouvre le chemin, qui parfois nous pousse, parfois même nous porte, ou qui nous rassure en étant à côté de nous, en nous encourageant, en nous donnant confiance, en nous disant qu’il croit en nous. Le Christ nous fait comprendre, par ses actes et par ses gestes, relatés dans les Évangiles, que ce chemin passe par la fraternité, par l’amour du prochain, par le service, par le soin des plus petits et des plus pauvres.
Donner du sens à la souffrance
Les personnes qui traversent des épreuves douloureuses cherchent à donner du sens à ce qui est injuste et incompréhensible. Face à l’arbitraire on cherche des responsables, et si l’on ne trouve personne contre qui projeter son désarroi, Dieu peut devenir la cible de nos accusations, surtout si l’on nous a parlé d’un Dieu tout-puissant et magique qui décide et régie tout. Les discours religieux ont parfois été ambigus sur cette question : en cherchant à culpabiliser l’homme en lui faisant comprendre que ses souffrances étaient la conséquence de ses péchés, on a laissé entendre que Dieu était un père fouettard qui condamnait et punissait. Heureusement, les prophètes et Jésus nous ont aidé à comprendre que cette vision était une caricature et trahissait le message d’amour et de pardon de Dieu. Une autre manière de donner du sens à la souffrance était d’inviter les croyants qui traversaient des épreuves à s’associer à la souffrance du Christ en compensation des péchés de l’humanité. Mais cela laisse encore entendre qu’il y aurait un jeu de balancier entre le mal commis par l’humanité et la réparation qui serait au prix de la souffrance, soit du coupable soit d’autres personnes qui paieraient en compensation. Et l’on retombe dans la logique du mérite qui n’est pas fidèle à la Bonne Nouvelle de l’amour gratuit et inconditionnel de Dieu.
Donner du sens
au-delà de la souffrance
Par contre, on peut trouver du sens face aux épreuves, non pas en les justifiant mais en les transformant en expériences de vie. Si l’on accepte qu’il n’y ait pas de responsable ni de coupable, si l’on arrive à ne pas être dans la culpabilité, alors on peut trouver une voie d’apaisement en faisant de cette épreuve une étape de son itinéraire de vie. Il ne s’agit pas d’être heureux de cette souffrance ni de la chercher ou de la provoquer, mais d’accepter de ne pouvoir y échapper et du coup de la traverser. Et c’est là que la spiritualité et le message chrétien peuvent nous accompagner. Si Dieu a quelque chose à voir avec la souffrance, ce n’est pas en l’expliquant ou de la justifiant, mais c’est en nous aidant à la combattre et à la traverser pour que la vie et l’amour soient victorieux. C’est bien ce que nous célébrons avec la fête de Pâques.
Olivier