Nous sommes dans le temps liturgique du carême, ces 40 jours de préparation aux fêtes pascales, temps de conversion et d’approfondissement de notre relation à Dieu et aux autres. Nous allons aussi accompagner, tout au long de ces six semaines, le Christ dans sa montée vers Jérusalem, lieu de sa passion, de sa mort et de sa résurrection. Il me semble que le récit de la rencontre du Christ avec un lépreux dans l’Évangile de Marc (Mc 1, 40-45) peut nous aider à comprendre ce que Dieu est venu vivre avec l’humanité en se faisant homme.

Le pur et l’impur
Dans ce récit, Jésus est abordé par un lépreux, homme impur par excellence. Ce pauvre homme, tenu de vivre à l’écart des autres dans des lieux retirés de toute vie sociale et communautaire, ose s’approcher du Christ. Jésus ne le rejette pas, mais entend sa demande de guérison et l’accomplit. L’homme, tout joyeux, s’en va annoncer autour de lui cette bonne nouvelle de sa guérison, désobéissant à l’injonction de Jésus de ne rien dire à personne, et mettant le Christ dans une posture intenable, lui imposant de se cacher dans un lieu désert pour ne pas être assailli de demandes de guérisons et de miracles, lui qui se méfie de l’idolâtrie dont il pourrait être l’objet.

Le mérite et la gratuité
Ce court récit nous donne des repères quand au projet de Dieu dans sa relation avec l’humanité : il accueille l’homme considéré comme impur par ses coreligionnaires. Il ne le rejette pas et ne le culpabilise pas, alors qu’à l’époque on considérait qu’un homme atteint de cette grave maladie de peau extrêmement contagieuse était puni pour la laideur de son âme, et que cette malédiction avait pour cause ses grands péchés. Dans la logique religieuse de ce temps, on considérait que la toute puissance de Dieu était agissante sur les événements et les personnes, et que, Dieu étant bon, si une personne souffrait ou était malheureuse, c’était la conséquence de ses mauvaises actions. C’était une façon de placer le religieux sur le registre de la rétribution : le bonheur et le paradis pour les personnes bonnes, le malheur et l’enfer pour les méchants. Jésus – qui pour les chrétiens n’est pas un simple messager ou un prophète parmi d’autres, mais l’incarnation de Dieu, de sa parole, de son message, de son alliance – nous fait sortir de ce registre du mérite. Il ne dit pas que l’homme mérite son malheur, mais il le guérit, signifiant que la maladie, la souffrance, ne font pas partie du projet de Dieu. Et nous comprenons ainsi que la puissance de Dieu n’est pas une force agissant sur les événements ou sur le matériel, mais qu’elle est en œuvre dans la capacité de Dieu d’aimer toute personne sans condition. C’est cet amour gratuit et gracieux qui peut nous permettre de traverser les épreuves, mais il n’agit pas par magie sur les événements eux-mêmes. Les quelques récits de miracles accomplis par Jésus et relatés dans les Évangiles sont des signes de ce désir de Dieu de lutter contre ce qui défigure les êtres humains et les coupe de la relation aux autres. Jésus n’explique pas le mal ni ne le justifie, mais il le combat. La réponse religieuse à la question de la souffrance et de la mort doit être sur ce registre : encourager, accompagner, être là par amour gratuit pour que cet amour porte du fruit en celui qui souffre et qu’ainsi il ne tombe pas dans le découragement et la fatalité, mais soit dans l’espérance, la foi, la charité.

Conversion
Autre repère que nous donne ce récit, et qui est au cœur du message chrétien et de ce que nous nous préparons à célébrer à Pâques : le Christ ne se contente pas de lutter contre le mal dont est atteint ce pauvre lépreux, mais il s’identifie à l’homme méprisé, culpabilisé et exclu : à la fin du récit, c’est Jésus qui ne peut plus entrer ouvertement dans une ville, mais doit rester à l’écart, dans des endroits déserts, comme le lépreux avant sa guérison. C’est un renversement total, qui peut faire penser à celui dont nous avons été témoins lors de la nuit de Noël, durant laquelle les plus pauvres des hommes, les bergers, ont pris le relais des anges, êtres célestes par excellence, pour chanter la gloire de Dieu. Ici, c’est Dieu, en Jésus, qui se retrouve à la place du lépreux. Nous osons exprimer ce renversement en mettant dans la bouche de Dieu ces mots un peu triviaux : « Vous les hommes, vous êtes fous, vous ne comprenez rien. Vous m’utilisez pour rejeter et condamner les gens avec des notions de pureté et d’impureté qui n’ont rien à voir avec mon amour offert à tous. Pour qui vous prenez-vous ? Vous osez instrumentaliser mon message pour agir à l’opposé de ce que j’essaie de vous faire comprendre et de vivre avec vous ! Si vous voulez jouer à ce jeu-là, alors voyez : je me mets du côté des impurs pour vous montrer l’absurdité de votre manipulation, et je partage la vie des exclus et des méprisés pour vous indiquer de qui je veux être proche en priorité. » C’est cela la véritable conversion : comprendre comme Dieu comprend, regarder comme Dieu regarde, aimer comme Dieu aime…

Olivier