Olivier

À propos de Olivier

Cet auteur n'a pas encore renseigné de détails.
Jusqu'à présent Olivier a créé 349 entrées de blog.

Lettre du Villard – février 2021

LETTRE DU VILLARD

Le Villard, le 15 février 2021

Chers amis,

Quelles belles journées vous nous avez offertes en nous faisant partager un peu de vos vacances ! Il faut reconnaître que nous bénéficiions alors d’un beau temps froid et d’une couche de neige de qualité qui nous ont permis de nous faufiler en raquettes dans les sous-bois tout autant que d’affronter des pentes qui nous impressionnaient un peu. Votre jeunesse, votre enthousiasme nous ont persuadés que c’était encore à notre portée, nous avons fini par y croire et nous y sommes arrivés. Parfois… Pas toujours, car souvent le souffle manquait, le cœur cognait, la gorge brûlait et les jambes menaçaient de faire grève… Je vous remercie également d’avoir, certains soirs, contribué à calmer les conversations entre Gastinel et Beraud lorsque nous terminions la journée autour d’un thé, avant que chacun rejoigne sa maison, dans un souci très approximatif du couvre-feu que personne n’est heureusement venu contrôler.
Cette réglementation, si j’ai bien lu votre lettre qui vient d’arriver, vous paraît de moins en moins cohérente, mais ce qui vous irrite le plus, ce sont, dites-vous en chaussant les bottes de Michel Audiard, les « sycophantes glaireux »1 qui dénoncent ceux qui ne la respectent pas et qui vont signaler des personnes vues en train de consommer dans un café ou un restaurant. Le monde n’a pas changé, dites-vous, depuis les dénonciations à la Kommandantur ! Gastinel vous rejoint et considère que ces gens-là ont le complexe du justicier, de Zorro, enchérit-il, tandis que Beraud se demande s’ils agissent par civisme, dans l’intention de bien faire, pour éviter que l’épidémie se répande, ou par dépit, faute d’avoir le courage d’aller jusqu’au bout de leurs envies. Gastinel s’est fendu d’une citation de Chateaubriand dont j’ignorais qu’il fréquentât les Mémoires d’outre-tombe : « Les Français n’aiment point la liberté ; l’égalité seule est leur idole »2. Beraud, paraphrasant une réplique culte d’un film à grand succès de Francis Weber, a renchéri en lâchant : « Ce n’est pas la Justice qui m’inquiète, ce sont les justiciers »3.
Une nouvelle chute de neige est venue épaissir la couche de glace qui était sur la chaussée de la route du Villard ce qui, malgré le gravillonnage, rend la circulation chaque jour plus difficile. La conduite sur glace vous entraîne d’ailleurs dans votre lettre à un rapprochement avec l’art de la politique que doit maîtriser le gouvernement en cette période d’épidémie. Vous notez qu’il faut aller de l’avant, mais qu’on ne sait jamais bien à quelle allure, qu’on hésite sur le rapport à choisir pour la boîte de vitesses, qu’on doit imaginer quelle sera la réaction du véhicule au freinage, qu’on n’est pas toujours sur de l’amplitude du mouvement à donner au volant… Et vous y voyez l’image de ce à quoi est affronté le Gouvernement. Vous comprenez la difficulté de sa démarche car le temps qui s’écoule entre le moment où il prend une décision et celui où on peut en observer les effets est très court. C’est du pilotage à vue ; on n’est pas dans une stratégie à long terme, mais dans une démarche tactique. Il serait, dites-vous en faisant référence à de précédents gouvernements, électoralement plus payant et plus facile de lancer de belles idées, des projets qui ont peu de chances de se réaliser ou de s’avérer inopérants lorsqu’on ne sera plus aux affaires. Annoncer un plan de réorganisation de l’armée de Terre ou déclarer qu’une génération aura dû accéder au (niveau du) baccalauréat est finalement plus facile que de décider de laisser les restaurants ouverts. Personne, en effet, n’en attend des résultats immédiats. Qui plus est, si on a mal apprécié la question, des correctifs peuvent être apportés en cours de route. En ce moment, en revanche, on ne peut guère évoluer qu’à l’estime, en souplesse, un pied frôlant le frein, la main légère sur le volant, avec peut-être quelques instruments de navigation que sont les informations qu’on est seul à détenir mais dont on n’est sans doute pas entièrement certain de l’exactitude. C’est bien ce qui inquiète, concluez-vous, car, si on ne sait pas si celui qui tient le joystick est le plus qualifié pour le faire, on est par ailleurs certain qu’on ne peut affirmer que d’autres le soient mieux. Vous avez assez exprimé les réserves et les reproches que vous inspiraient certaines dispositions prises depuis le début du quinquennat pour que votre analyse ne soit pas entachée de « macrôlatrie » comme dirait Gastinel.
Votre comparaison avec la conduite sur glace me rappelle une conversation que nous avons eue récemment et qui roulait sur les circonstances dans lesquelles nous prenons des décisions. Nous convenions qu’en principe nous sommes censés prendre du recul, peser le pour et le contre… Ce qui ne nous empêche pas de commettre des erreurs de jugement. Et nous nous demandions à quoi cela peut tenir. Est-ce à l’éducation et aux œillères qu’on en garde, à la hâte dans laquelle on tranche, à l’étroitesse du champ de notre examen ? À la difficulté de prendre en considération un nombre suffisamment large d’arguments essentiels mais aussi de les pondérer aussi finement que les circonstances le demanderaient ?
« Il y a des êtres humains qui (…) commettent plus (d’erreurs) que d’autres, ceux qu’on appelle les sots », comme dit frère Guillaume de Baskerville dans le roman d’Umberto Eco auquel Sean Connery prêtait ses traits dans le film de J.-J. Annaud4. Mais tout le monde n’est pas sot et tout le monde se trompe. À quoi cela peut-il être dû ? L’interrogation est d’autant plus justifiée qu’une même question peut recevoir deux réponses différentes de la part de deux personnes qui ne sont sans doute sottes ni l’une ni l’autre. L’une aura privilégié tel argument que l’autre aura relativisé.
Le point de départ de notre discussion était une remarque de Gastinel qui ne voyait pas émerger, à moins de dix-huit mois des élections présidentielles, une personnalité incontestable, ni pour les gens de gauche, ni pour ceux de droite. Ce banal constat établi, nous nous demandions une fois de plus ce qui pouvait bien faire que deux personnes également sensées et honnêtes se situent l’une à gauche et l’autre à droite. Me Beraud a rattaché la question à nos interrogations sur la difficulté que nous éprouvons à prendre des décisions, en soulignant que le choix est d’autant plus difficile que les avis sont nombreux. « Et dire, continua-t-il, que, pour arranger tout cela, de bons esprits ressortent l’antienne du scrutin de liste ! Ma foi, ce fut une des causes de la fin de la IVe République, qui était devenue ingouvernable. Et, notez bien, c’était à l’époque des Trente glorieuses, à un moment où la croissance permettait d’atténuer les tensions au sein de la société, qui était encore assez homogène. Que serait-ce dans notre corps social travaillé par la culture de la diversité, culturelle, religieuse, et j’en passe ? Je ne dis pas que ce mode de scrutin ne permette pas une expression plus complète des idées des diverses composantes du corps électoral, et qu’il ne soit pas utile d’entendre les avis les plus divers pour parvenir à des décisions équilibrées. La question est cependant de savoir si on cherche à collectionner les avis ou si les décisions à prendre doivent avoir une certaine efficacité ». Gastinel, qui tient au scrutin majoritaire, au « scrutin de gladiateur », dit-il, citant Édouard Herriot5, redoute que l’honnête aspiration de départ ne débouche sur une manœuvre démagogique qui pourrait bien être récupérée par des groupes attachés à la perte des valeurs de solidarité, d’égalité et de laïcité de notre société.
J’en ai dit hier deux mots à Mimiquet qui était venu, selon son mot, se changer les idées, car les journées passées à regarder les chaînes d’information en continu le démoralisent. « Méfiez-vous, me dit-il, et il ajouta, citant sans le savoir William Cowper6, celui qui crie le plus fort a toujours raison ». Le problème, a ajouté notre faucheur de foin, est que dans notre société, on ne sait plus qui pourrait faire remarquer à certains qu’ils crient un peu trop fort.
Nous vous souhaitons de passer au travers des gouttes en suspension dans l’air qui véhiculent, nous dit-on, le virus qui accable notre société.
Puissent-elles ne pas vous atteindre !
Nous vous assurons de notre amitié.

P. Deladret

  1. Injure proférée par le personnage joué par Francis Blanche dans Les Barbouzes de Georges Lautner, 1964. Le sycophante était le nom donné à Athènes aux dénonciateurs.
  2. Mémoires d’outre-tombe 3e partie, livre VI.
  3. « C’est pas la stratégie qui m’inquiète, c’est le stratège », Le dîner de cons, 1998.
  4. Le Nom de la rose, 1986.
  5. Édouard Herriot, homme d’état français, 1872-1957 .
  6. Poète anglais, 1731-1800, auteur de La Tâche, The diverting history of John Gilpin, de poésies, etc..
2021-02-17T10:01:05+01:00

Édito mars 2021 > Le chemin vers Pâques

Avec le temps du carême qui nous prépare à célébrer les fêtes de Pâques dans quelques semaines, nous sommes plongés dans le mystère chrétien du visage de Dieu révélé par Jésus Christ : pauvre parmi les pauvres, humble parmi les humbles, marginal parmi les marginaux. Non seulement il se fait proche des petits et des exclus, mais il va plus loin, il s’identifie à eux, il vit leur vie. Il s’agit pour Dieu de nous faire comprendre son projet, car s’il partage nos souffrances et nos misères, c’est pour nous ouvrir un avenir, un salut, un relèvement, une guérison. S’il souffre, comme nous, il se révèle aussi victorieux du mal et de la mort, et il nous associe à cette victoire. C’est ce que nous célébrerons à Pâques.

Dieu proche
Durant le temps du carême nous relisons l’itinéraire du Christ qui n’a de cesse de venir rencontrer les femmes et les hommes dans l’affliction afin de leur donner l’espérance. Il annonce la Bonne Nouvelle du salut offert à tous et il l’incarne. Il ne se paye pas de mots, ses paroles deviennent des actes : il guérit, il libère du mal, il soulage et il console. Les récits peuvent parfois être emprunts de magie et de signes extraordinaires mais, au-delà de cette manière de présenter la vie de Jésus, il nous faut entendre ce qu’ils illustrent : un Dieu qui se laisse toucher par la condition douloureuse de l’humanité et qui lui veut du bien.

Nous ouvrir à Dieu
Le temps du carême nous invite à regarder nos existences avec les yeux de Dieu. En faisant la vérité, sans fausse pudeur et sans hypocrisie, en assumant nos faiblesses et nos égarements, en osant nous montrer tels que nous sommes sans le jeu des apparences. Poser sur nos vies le même regard que Dieu, c’est aussi reconnaître qu’un avenir nous est proposé, nous émerveiller que le salut nous soit offert, découvrir que notre péché peut être combattu. Temps de relecture et d’introspection, le carême ne doit pas nous faire tomber dans un nombrilisme mortifère et culpabilisant, mais il peut nous permettre de nous tourner vers Dieu qui nous communique son désir : que nous sachions accueillir sa force d’amour dans nos vies. C’est le véritable sens de la conversion : un mouvement qui nous permet de nous ouvrir à Dieu, avant d’être un effort de l’homme pour se conformer à ce que Dieu lui commande.

Chemin d’humanité
La prière, les efforts de partage et de maitrise de nos instincts qui jalonnent ce temps de conversion en profondeur, sont des moyens pour nous accompagner dans cette dynamique de vie. Nous sommes invités à vivre ces jalons avec joie, comme un entraînement vers plus de liberté, de justice et de solidarité. Être chrétien, c’est prendre le chemin de la véritable humanité telle que voulue par Dieu, loin des égarements de l’homme lorsqu’il se prend pour une divinité et décide de ce qui est bien et mal, esclave de ses pulsions de peur et de ses fantasmes de toute puissance. L’authentique visage de l’homme est dévoilé en Jésus Christ : ouvert, compatissant, vulnérable face à la violence des hommes, solide dans la foi, résistant aux tentations.

Incarner le visage de Dieu
L’Église a pour vocation d’incarner ce visage de Dieu dans tous les lieux, dans tous les temps, dans toutes les situations, auprès de toutes les femmes et de tous les hommes, sans aucune limite. C’est le sens de la mission : il s’agit de convertir l’humanité à la relation à Dieu, plutôt que de faire changer de religion. Nous devons lutter contre une conception de la mission comprise comme propagande et prosélytisme. La conversion est un mouvement qui concerne en premier lieu ceux qui sont déjà croyants, car nous n’avons jamais fini de nous tourner vers le véritable visage de Dieu. Nous devons nous méfier de la tentation de nous faire un Dieu à notre image, étriqué, qui punit, qui rétribue, qui marchande. C’est dans la contemplation et la fréquentation du Christ que nous découvrons l’authentique visage de Dieu et que nous pouvons discerner comment l’incarner à notre tour.

Inventer la mission
Pour vivre cette mission, il n’y a pas de recette miracle, de mode d’emploi tout établi ou de règle stricte : selon nos dispositions, nos capacités, dans les diverses époques et situations de nos existences, nous avons à inventer notre propre manière d’annoncer par nos gestes et nos paroles cette Bonne Nouvelle. Dieu fait confiance à notre génie pour que nous sachions traduire l’Évangile dans nos vies afin qu’il soit audible et reçu par les femmes et les hommes de notre temps. Il nous faut beaucoup de délicatesse pour annoncer l’idéal chrétien et ce chemin d’accès au bonheur révélé par Jésus Christ sans que nos interlocuteurs se sentent jugés ou condamnés parce qu’ils ont une autre vision ou parce qu’ils ne correspondent pas à cet idéal. Nous ne sommes pas envoyés en mission pour condamner mais pour aimer : ce témoignage de cohérence entre ce que nous annonçons et ce que nous vivons constitue l’essentiel de l’évangélisation.

Olivier

2021-02-17T09:56:04+01:00

L’Évangile du mois de mars 2021

L’Évangile du mois sera proclamé le dimanche 7 mars, le troisième dimanche du carême.

Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean
Comme la Pâque juive était proche, Jésus monta à Jérusalem.
Dans le Temple, il trouva installés les marchands de bœufs, de brebis et de colombes, et les changeurs. Il fit un fouet avec des cordes, et les chassa tous du Temple, ainsi que les brebis et les bœufs ; il jeta par terre la monnaie des changeurs, renversa leurs comptoirs, et dit aux marchands de colombes : « Enlevez cela d’ici. Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce. »
Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : L’amour de ta maison fera mon tourment.
Des Juifs l’interpellèrent : « Quel signe peux-tu nous donner pour agir ainsi ? »
Jésus leur répondit : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. »
Les Juifs lui répliquèrent : « Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire, et toi, en trois jours tu le relèverais ! » Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. Aussi, quand il se réveilla d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela ; ils crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite.
Pendant qu’il était à Jérusalem pour la fête de la Pâque, beaucoup crurent en son nom, à la vue des signes qu’il accomplissait. Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous et n’avait besoin d’aucun témoignage sur l’homme ; lui-même, en effet, connaissait ce qu’il y a dans l’homme.

Le contexte
Ce passage est situé au tout début de l’Évangile de Jean. Jésus vient en pèlerinage à Jérusalem et comme tous les juifs de son temps, il va au Temple pour prier.

Fausses pistes…
On pourrait penser à la lecture de ce passage que Jésus est un indigné ou même un révolutionnaire. Ou encore, Jésus aurait pris un coup de colère et se serait en quelque sorte emporté parce que le bruit des changeurs le choquait ou dérangeait sa prière. 
Voyons cela de plus près…

Le Temple à l’approche de Pâques…
Cette scène se déroule dans un lieu et un temps qui n’ont rien d’anodin. Rappelons que le Temple est le lieu sacré, le lieu saint pour tout Israël. Nous sommes à l’approche de Pâques, des foules arrivent pour célébrer la plus grande fête juive. Rien de plus normal qu’un certain brouhaha autour du Temple puisque les juifs de la diaspora doivent changer leur argent. En effet, il est interdit d’utiliser dans ce lieu des pièces à l’effigie de l’empereur. Et rien de plus normal que soient présentes des bêtes dans le Temple puisque des sacrifices vont s’y succéder.

Les tables des changeurs…
Ces comptoirs ou ces tables dans le temple évoquent l’idée d’un commerce avec Dieu. Le sacrifice pouvait être considéré comme un acte de l’homme pour s’assurer les bonnes faveurs de Dieu. Peut-être que nous donnons à notre présence à la messe ou à nos bonnes actions ce sens-là. Mais attention, nous ne sommes pas en contrat avec Dieu ! La juste relation que Dieu veut nouer avec nous est de l’ordre de l’alliance. Pas de donnant-donnant mais un don tout court entre deux alliés.
Si les tables sont renversées, c’est que Jésus donne un sens nouveau au sacrifice, il donne un nouveau sens au Temple. Le sacrifice n’est pas un investissement qui attend un retour à plus ou moins terme, il est un acte d’amour absolument gratuit qui dit la gratitude envers Dieu.

Gratuit…
Nous le savons, Dieu offre son Fils. En Jésus, Dieu s’offre aux hommes gratuitement et se donne sans attendre de retour. Par conséquent, l’homme peut s’offrir à Dieu pour le remercier, c’est l’action de grâce. L’attitude fondamentale du chrétien n’est donc pas de faire quelque chose pour Dieu dans le but de recevoir mais de prendre conscience de ce que fait Dieu pour nous et de rendre grâce. On comprend alors pourquoi les tables des changeurs sont renversées. Jésus de façon spectaculaire vient nous expliquer en gestes et en paroles la nouvelle manière de vivre avec Dieu. Ce temps de carême est un temps favorable pour convertir notre relation à Dieu. Il n’est pas un prestataire de service qui me rendrait la vie facile mais il est un partenaire d’alliance !

Didier Rocca

Le mot du jour : Temple

Le Temple de Jérusalem (en hébreu « Maison de sainteté ») désigne différents édifices religieux construits sur le Mont du Temple dans la Vieille ville de Jérusalem. Dans l’Antiquité, les édifices successifs ont servi de lieu de culte pour les Israélites puis pour les Juifs. Selon la Bible, le premier sanctuaire est construit par les Israélites pour abriter l’Arche d’Alliance. Il est détruit par les armées babyloniennes en 586 av. J.-C. et reconstruit 70 ans plus tard. Il est à nouveau détruit par Rome en 70. Il reste un mur du Temple appelé « le Mur des Lamentations ».

2021-02-17T09:58:38+01:00

L’Évangile du mois de février 2021

L’Évangile du mois est celui du 21 février, ce sera le premier dimanche des vacances d’hiver.

Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc
Aussitôt, l’Esprit le poussa au désert et, pendant quarante jours, il y fut tenté par Satan. Il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient.
Après l’arrestation de Jean, Jésus s’en alla en Galilée.
Il proclamait la bonne nouvelle de Dieu en ces termes :
« Les délais sont accomplis, le Règne de Dieu est là, convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle ! »

Le contexte
Nous sommes au tout début de son Évangile. Marc nous donne précédemment en trois petits tableaux, trois axes de son Évangile :

  • Jean-Baptiste annonce la venue de l’Envoyé de Dieu : ce Jésus a été annoncé, préparé par tous les grands témoins de l’Ancien Testament.
  • Jésus descend dans le Jourdain pour ouvrir aux hommes les portes de la véritable Terre Promise : il est le Fils bien-aimé du Père sur qui repose l’Esprit. Jésus vient révéler le mystère de Dieu, le mystère d’amour du Dieu Père, Fils et Esprit.
  • Comme le Messie annoncé par le prophète Isaïe, Jésus est en paix avec les bêtes sauvages comme avec les anges. En lui et par lui va s’accomplir la réconciliation de toute la Création avec son Dieu.

Ce passage est lu lors du premier dimanche du temps de Carême et nous mentionne simplement les 40 jours de Jésus au désert après son baptême.

Quarante
Ce nombre est symbolique : 40 signifie un temps d’épreuve suivi du passage à un stade différent. Les exemples sont nombreux :
40 jours de déluge au temps de Noé,
40 jours de Moïse sur la montagne,
40 ans de marche du peuple hébreu dans le désert, 
40 jours de répit avant la destruction de Ninive,
40 jours durant lesquels Goliath se présente devant l’armée d’Israël, 40 jours de marche pour Elie.
La dernière mention dans la Bible est ce temps de combat spirituel vécu par Jésus.

Tenté
Tu peux être étonné : Jésus est tenté par Satan. Étonnant non ? Mais attention, tenté ne veut pas dire qu’il succombe à la tentation. Le texte n’évoque pas ici les différentes tentations vécues par Jésus. Matthieu et Luc nous éclairent à ce sujet.
1re tentation : Renier son humanité en transformant une pierre en pain.
2e tentation : Se jeter du Temple et mettre Dieu au défi de le protéger.
3e tentation : Se prosterner devant Satan en échange de faveurs.

Trois tentations
Ces tentations nous disent quelque chose de ce que Jésus veut être pour nous, avec nous. La première nous montre que Jésus restera « Dieu avec nous », jusqu’au bout et ne reculera pas devant la mort. Il n’abandonnera pas l’humanité et son humanité.
La deuxième tentation donne le sens profond de sa mort future. Ce ne sera pas un suicide mais un acte d’obéissance au Père. Jésus ne choisira pas sa manière de mourir, il ira jusqu’au bout de sa logique d’amour et en accueillera les conséquences.
Enfin la troisième tentation nous invite à ne rien choisir d’autre que Dieu. Notre disponibilité, notre intelligence, notre énergie doivent être mises au service de Dieu. Attention à la tentation de l’idolâtrie qui consiste, parfois en toute bonne conscience, à consacrer sa vie à tout autre chose.

Pour actualiser
Ces tentations de Jésus résument le combat qu’il devra mener durant toute sa vie ; combat qu’il gagnera définitivement sur la Croix. En cette période troublée de notre histoire, il est bon de se rappeler que ce combat est gagné. Cela fait partie de notre foi que d’y croire. Croire qu’il dépend de chacun de nous d’orienter l’histoire vers cette victoire, « non seulement par la façon dont nous mettons en pratique le programme des Béatitudes, mais aussi par notre fidélité à nous unir à l’offrande du Christ en chaque Eucharistie dans l’espérance que le salut de Pâques, offert à tous puisse être progressivement donné à chacun » (Mgr Aveline, « Éditorial », Église à Marseille, novembre 2020).

Didier Rocca

Le mot du jour : autorité

Du latin auctoritas, capacité de faire grandir. Celui qui a de l’autorité est donc capable de faire grandir celui qui est sous sa responsabilité. Une autre étymologie suggère que ce mot « autorité » vient du mot « auteur ». Ainsi, avoir de l’autorité rend l’autre auteur, acteur, responsable de sa propre vie.

2021-01-26T20:35:53+01:00

Édito février 2021 > La confiance

Méfiance
Durant l’année 2020, la confiance a été mise à rude épreuve. Avec l’épidémie de coronavirus et les restrictions imposées, la peur et l’incompréhension ont pris une place importante dans nos vies, alors que nous étions jusque-là plutôt insouciants. Nous avons été poussés à nous méfier de la proximité avec les autres, par crainte de contaminations, mais nous sommes aussi devenus méfiants vis-à-vis des informations qui nous étaient données. Que la source soit scientifique, politique ou médiatique, nous avons été confrontés à des discours parfois incohérents et à des interprétations « complotistes » qui ont ajouté au flou d’une épidémie que nous ne connaissions pas et dont les évolutions étaient hors de notre maîtrise. Nous recevions des informations contradictoires, venant de sources a priori fiables mais qui, du fait de leur incompatibilité, nous ont poussé à douter de tout. Les spécialistes scientifiques en tout genre avaient des avis divergents, les représentants des partis politiques étaient en opposition quand aux stratégies à mettre en œuvre pour lutter contre la progression de l’épidémie, les médias donnaient la parole à des experts qui ne tenaient pas tous les mêmes discours, des décisions se révélaient avoir été dictées par des impératifs économiques ou techniques cachés au « grand public » mais présentées comme motivées par des choix sanitaires ou scientifiques… Nous ne savions plus à quel saint nous vouer, et nous sommes devenus méfiants par rapport à ce que nous entendions et voyions.

Prudence
Cette prudence vis-à-vis des informations a pu être bénéfique, car nous étions sans doute un peu trop naïfs. On nous faisait avaler des couleuvres depuis trop longtemps et il nous a fallu un électrochoc pour nous réveiller de notre torpeur béate. Mais nous sommes maintenant tombés dans l’extrême inverse, nous sommes devenus méfiants de tout. Les diverses crises qui ont précédé celle de la Covid-19 étaient déjà des signaux précurseurs de cette défiance généralisée. Les gilets-jaunes, qui ont tant monopolisé le paysage médiatique en 2019, relevaient déjà de cette méfiance envers les décideurs et les responsables politiques ou économiques. Les manifestations contre les violences policières dénonçaient l’impunité des exactions commises par ceux qui étaient garants du droit et de la justice. Les condamnations de représentants des religions accusés de crimes pédophiles, ou d’abus de pouvoir envers des religieuses ou des personnes vulnérables, révélaient l’hypocrisie d’individus ou d’institutions qui se devaient d’être exemplaires au nom d’un idéal d’amour et de charité. Dans ce contexte nous sommes devenus prudents, nous savons qu’il nous faut du discernement et nous refusons d’accepter tout et n’importe quoi.

Confiance
La confiance est un équilibre mais un équilibre fragile qui peut être remis en cause par les épreuves de la vie, par les contrariétés, par la maladie, par les troubles relationnels, par les échecs affectifs, par des imprévus ; et le monde d’aujourd’hui, par son rythme et ses évolutions, par la crise que nous traversons, peut vite déstabiliser une personne, l’isoler et la déprimer. Si les religions ont une mission à assumer dans ces temps difficiles que nous traversons, c’est précisément d’être signe de la confiance. Nous devons inscrire cette notion au cœur de notre existence. Non pas une confiance aveugle envers tout ce qui nous vient de l’extérieur, mais une confiance dans notre capacité à nous relever après une chute, à traverser les difficultés, à sortir plus forts d’une épreuve, sans repli identitaire ni haine de l’autre. Les croyants puisent cette confiance dans leur relation à Dieu, source de tout bien et de tout amour. Car, pour les croyants, la confiance va de pair avec la foi en l’action de Dieu au cœur de nos existences.

Le regard de Dieu
La foi repose avant tout sur la compréhension du regard que Dieu porte sur le croyant : un regard qui encourage, qui fait la vérité sans enfermer dans les erreurs ou les échecs, et qui ouvre un avenir. Comme les enfants grandissent grâce au regard bienveillant de leurs parents, les croyants deviennent authentiquement croyants quand ils comprennent l’action bénéfique de Dieu dans leur existence. Ce qui est compliqué, c’est qu’il n’y a pas de magie dans cette intervention de Dieu dans nos vies, tout comme dans l’action du regard des parents. Pourtant on sait combien un regard confiant et un soutien fraternel peuvent aider à traverser les épreuves de la vie et à faire les bons choix. Pour les croyants de toute religion, la prière est le lieu privilégié de cet échange avec Dieu.

Olivier

2021-01-26T20:32:31+01:00

Lettre du Villard – janvier 2021

LETTRE DU VILLARD

Le Villard, le 15 janvier 2020

Bien chers amis,
Une fois de plus, vous avez été les plus rapides et vos vœux nous sont parvenus avant même que nous vous ayons envoyé les nôtres. Vous notez cependant, comme pour relativiser l’importance que nous pourrions être tentés de donner à votre amicale attention, que vous avez malgré tout quelque doute sur l’efficacité probable de vos souhaits.
Je vous trouve bien pessimiste ; ne mésestimez pas le fruit qu’ils peuvent porter. Qui vous dit que le fait pour nous de savoir que nous comptons pour vous, comme pour quelques amis, ne nous aide pas à lutter contre la morosité à laquelle notre âge nous fait parfois incliner ? À être un peu plus attentifs à ce qui se passe ? Et ne nous aide pas à passer une « bonne » année. Les rites ont du bon. D’aucuns disent « À quoi bon s’écrire, échanger des banalités… Cela va sans dire » ; peut-être, mais cela va mieux en le disant.
Permettez-moi de vous dire également en quoi je vous trouve pessimiste quant à l’effet possible de vos vœux : n’avons-nous pas passé, ma femme et moi, une année plutôt agréable, sans maladie, ni trop grande tristesse ? Peut-être fut-ce un effet de vos vœux ? Qui sait ? Nous avons, certes, vécu, à titre personnel, une année sans doute différente de celle à laquelle nous pensions. Mais elle a été particulièrement intéressante, ne serait-ce que parce que les contraintes inattendues que nous avons subies du fait du confinement nous ont aidés à rétablir une certaine hiérarchie dans nos habitudes de vie et nos relations. Si vous nous aviez souhaité au début 2020 de prendre un peu de recul, d’agir dans notre vie avec toujours plus de discernement, ne serions-nous pas prêts à admettre que, finalement, ces vœux ont été suivis d’effet ? Vous allez mettre cette remarque sur le compte de mon goût pour le paradoxe, et vous m’objecterez que tous ceux qui doivent travailler pour gagner leur vie, qui ont des enfants à élever, qui souffrent de la maladie, n’ont pas cette vision distanciée qui pourrait être prise pour de l’indifférence. Nous savons bien que cette année a été vécue comme une épreuve et bien souvent une souffrance par l’immense majorité de ceux qui, de leur fait ou de celui des autres, n’ont pas eu les moyens de s’en accommoder.
Quoi qu’il en soit, et avec toutes les réserves que sous-entend ce qui précède, nous espérons que vous connaîtrez la meilleure année possible ; vous comprendrez que nous limitions le champ de nos souhaits ; ils gagnent en intensité ce qu’ils perdent en étendue, mais ils n’en sont pas moins également sincères.
Nous avons, au Villard, la chance de pouvoir conserver une certaine distance par rapport aux informations alarmistes dans lesquelles baignent ceux qui tiennent à tout savoir de l’épidémie, de ses traitements, et des effets annoncés des vaccins. Il n’empêche que nous ne pouvons échapper avec les voisins et amis qui passent aux conversations que l’on aurait qualifiées en d’autres temps « du café du commerce » . Le colonel Gastinel a repris goût à la vie depuis qu’il peut arpenter notre belle vallée enfin bien enneigée et il vient souvent nous voir. Il n’attend qu’une chose, c’est de pouvoir se faire vacciner et il piaffe d’impatience ; à Me Beraud qui n’éprouve pas la même fébrilité, Gastinel assène tous les arguments que les pouvoirs publics donnent en faveur de la vaccination ; il le soupçonnerait presque de prêter une oreille complaisante aux propos des complotistes1. Beraud s’en défend en lui répondant que la vie au Villard réduit les risques de contamination et qu’elle lui laisse un peu de temps pour voir si les vaccins actuels apportent vraiment la meilleure solution possible aux problèmes que pose ce virus. Gastinel lui a déclaré tout de go qu’il allait devenir infréquentable, que les portes des services publics et des commerces allaient se fermer devant lui, et que lui-même allait l’éviter. Il m’a pris à témoin de leurs divergences. Je vous avouerai que je ne sais quel parti prendre car s’il est incontestable que, depuis Jenner2, la vaccination a sauvé un nombre incalculable de vies humaines, il est aussi vrai, dans le cas actuel, qu’on manque de connaissance sur ce qu’est vraiment ce virus atypique. On ne sait, semble-t-il, expliquer pourquoi il se transmet plus facilement dans certaines régions que dans d’autres. On paraît donc avancer en tâtonnant et les vaccins sont perçus comme des pis-aller. On ne peut pas dire que les décisions souvent contradictoires prises par les dirigeants des différents pays depuis le début de la crise incitent à accorder une confiance aveugle aux politiques préconisées. La confiance ne va plus de soi ; elle se prête, et avec des réserves.
Me Beraud, qui n’est pourtant pas de nature foncièrement sceptique, traduisait il y a peu de jours un égal sentiment de défiance à l’égard des déclarations qui ont accompagné l’issue du Brexit3. Il lui paraissait pour le moins curieux qu’à l’issue d’une négociation où des intérêts considérables étaient en jeu, chacune des parties opposées puisse se déclarer satisfaite. « Tout ça, pour ça ? disait-il. Quel est l’intérêt des trublions d’Albion de sortir de l’Union européenne si c’est pour continuer d’en respecter les règles du jeu ? Cela me fait penser, continuait-il, à ce que j’ai connu dans mon métier de notaire : au moment du divorce, beaucoup de gens sont prêts à accepter un modus vivendi, censément dans l’intérêt des enfants. On appelle ça un “bon” divorce. On nous dit que le Brexit en serait un, mais l’expérience montre qu’il n’est pas rare qu’au bout de quelque temps, les époux divorcés ne veuillent pas toucher au montant de la pension alimentaire ou modifier la garde des enfants… Je ne serais pas surpris qu’on ne constate pas dans un certain temps un peu de fantaisie dans l’interprétation des conventions signées. Nous verrons bien ».
Gastinel, qui aime bien ne pas être d’accord (il y a des gens comme ça…) est intervenu pour dire que le problème n’était pas là et que ce qu’avaient voulu exprimer les Anglais était leur volonté de reprendre leur souveraineté dont ils avaient à un moment donné abandonné une partie au profit de l’Union européenne. « Être maître chez soi n’implique pas de ne pas s’associer à ce que font les autres, ajouta-t-il, mais il y a une différence entre faire parce qu’on veut et faire parce qu’on doit. Je ne dis pas, a-t-il concédé, que le regain des nationalismes soit une bonne chose, mais j’ai le sentiment qu’après une ère de compréhension, de coopération, de mutualisation des énergies des États, on se recentre, pour certains on se replie, sur une prise en compte plus nette des intérêts particuliers. C’est un drame parce que la grande misère d’une part croissante de l’humanité attend d’autres attitudes que le repliement, mais c’est ainsi. Ce regain de nationalisme vient de s’exprimer de façon plus que déconcertante par l’attaque du Capitole des États-Unis par des manifestants débraillés dont la conduite traduisait un mépris, sinon une haine, de l’ordre démocratique établi. C’était faire beaucoup d’honneur au président battu. C’était aussi une grande honte pour un État qui ne doit pas être plus vertueux que les autres mais dont un art consommé de la propagande a jusqu’à maintenant maintenu une assez bonne image. Ne nous trompons pas, continua-t-il, les manifestants avaient en tête “America first !”4 et “Au diable ceux qui ne sont pas comme nous !”. Ils n’avaient pourtant pas à s’inquiéter car une première lecture des projets du président élu ne permet pas de penser qu’il donnera aux relations internationales une tournure très différente de celle du président sortant ».
Beraud, ayant relevé qu’il n’y avait dans ces péripéties étasuniennes aucune surprise à attendre, en profita pour souligner a contrario celles que pouvait comporter le référendum sur le climat qu’a annoncé le président de la République. Nous nous sommes mis facilement d’accord pour considérer que projeter d’amender par référendum la Constitution qui peut être modifiée par d’autres voies se rattachait moins à la volonté de faire aboutir un projet qu’au désir de communiquer sur le sujet ou de l’enterrer en transférant la responsabilité du rejet sur le corps électoral informel.
Gastinel et Beraud me chargent de vous transmettre leurs vœux les meilleurs. Faites-nous savoir si vous avez l’intention de venir au Villard en février ; nous serons alors comme le renard du Petit Prince et la seule attente de votre venue nous rendra heureux.
Prenez soin de vous, comme nous tympanisent les médias.
Et croyez en notre indéfectible amitié.

P. Deladret

  1. Complotistes : personnes croyant, à contre-courant d’une opinion généralement admise, qu’un évènement ou une situation est le fait d’un petit nombre agissant pour leur seul intérêt.
  2. Jenner : médecin anglais (1749-1823) considéré comme père de l’immunologie pour avoir étudié de façon scientifique et répandu le vaccin contre la variole.
  3. Brexit : retrait du Royaume Uni de l’Union Européenne.
  4. America first : L’Amérique d’abord ! Slogan du président Wilson pendant sa campagne.
2021-01-26T20:37:41+01:00

Conte pour Noël – décembre 2020

CONTE POUR NOËL

Tous les anges ne sont pas musiciens

Depuis bien longtemps, le père Martin, curé de la paroisse de S…, était inquiet à l’approche de Noël. Son cœur avait beau se remplir d’émotion à l’idée que Dieu avait envoyé Son fils parmi les hommes et L’avait laissé se sacrifier pour leur salut, la perspective de se trouver pratiquement seul dans l’église pour la messe de minuit l’angoissait chaque année davantage. Le nombre de fidèles diminuait. Et pas seulement pour la messe de minuit. Il pouvait compter sur les doigts d’une seule main le nombre des mariages de l’année, et Monseigneur se contentait maintenant d’envoyer son vicaire général pour les confirmations. Le père Martin ne voyait ses paroissiens que pour les baptêmes et les obsèques, pour ainsi dire pour les parenthèses de l’existence. Il était pourtant apprécié dans le village, et le maire, tout communiste qu’il fût, ne manquait pas de l’inviter au goûter des Anciens. Il n’empêche que le père Martin voyait s’avancer avec inquiétude le moment où il lui faudrait quitter sa paroisse en confessant devant Monseigneur qu’il n’avait pas été capable de lui remettre le talent que même le mauvais serviteur de l’Évangile avait pu rendre à son maître.
L’idée lui vint de s’adresser à saint Isidore, le patron de la paroisse. Il s’agenouilla devant le buste reliquaire qui était déposé dans le bas-côté de l’église, lui raconta tous ses malheurs et le pria de l’aider. « Tu te doutes bien, lui répondit le saint, que je suis au courant de tout ; et d’une, je suis bien placé pour voir qu’il n’y a plus grand monde dans ton église ; et de deux, l’été dernier, pour la fête patronale, les gamins qui portaient mon buste ont failli me flanquer par terre ; que veux-tu, tu n’en as pas deux de la même taille ! Quoi qu’il en soit, je ne vois pas ce que je pourrais faire, j’ai des paroisses en Afrique, au Canada… Je n’ai pas le don d’ubiquité ! Ah ! Peut-être en dire un mot à saint Pierre ? Je ne te promets rien. »
Saint Isidore, qui était consciencieux, commença par se demander si ce n’était pas en partie à cause de lui que les gens de S… ne venaient plus à l’église, s’il ne les avait pas un peu négligés, occupé qu’il était par les paroisses qui, sous son patronage, se multipliaient dans le monde. Pour en avoir le cœur net, il interrogea des saints dont la popularité est bien établie. Saint Antoine de Padoue le réconforta en l’assurant qu’au village personne ne l’invoquait plus depuis longtemps pour retrouver des objets perdus. Et, ce qui montrait bien l’étendue de la désaffection, c’était que le pauvre curé avait du visser une plaque sur la fente du tronc des offrandes pour éviter d’y trouver Dieu sait quoi. Sainte Rita l’assura qu’aucun paroissien ne s’adressait plus à elle, alors que rien ne permettait de croire qu’il n’y eut plus de cause désespérée qui aurait justifié son intercession. Ce fut saint Nicolas qui le convainquit que la situation était vraiment grave car, reconnut-il, plus aucune fille à marier ne le priait, alors que la hantise du célibat, il en était certain, devait continuer de leur trotter en tête.
Saint Isidore, rassuré de savoir qu’il n’était sans doute pas la cause de l’indifférence des paroissiens, s’en fut trouver saint Pierre et lui demanda, au nom de la communion des saints, de voir ce qui pourrait être fait pour permettre aux gens de S… de retrouver le chemin de la sainteté.
Le grand saint, perplexe, résista à la tentation qu’il eut un instant de le renvoyer vers saint Paul. Il était convaincu que l’esprit fertile de Paul lui permettrait sans doute de trouver tous les arguments imaginables pour remettre les paroissiens sur le droit chemin mais il se rendait aussi compte qu’il était trop tard pour qu’une démonstration bien rationnelle soit adaptée à la situation. Quand les gens ne veulent plus croire à rien, il est inutile d’essayer de les convaincre en leur demandant de vous écouter. Il faut un autre biais… L’idée lui vint de demander l’avis des Docteurs de l’Église qui ont une grande expérience de l’âme humaine. C’est ainsi que saint Isidore retrouva saint Antoine1 en compagnie du Docteur angélique2, du Docteur séraphique3, du Docteur savoureux4, du Docteur mystique5 et de bien d’autres encore. Saint Pierre se rendit pourtant assez vite compte qu’il ne leur serait pas facile de se mettre d’accord ; les uns, qui étaient partisans de la manière forte, invoquaient le Jehovah de l’Ancien Testament, Dieu jaloux et vengeur ; les autres leur rappelaient sans les convaincre totalement que le Nouveau Testament avait montré que Dieu était bonté. Le grand saint Pierre balançait entre les deux avis mais il se sentait porté à l’indulgence, lui qui avait renié le Seigneur par trois fois. Et, ce qui l’agaçait le plus, c’était que pendant qu’ils discutaient tranquillement, le temps passait à la vitesse de la Terre qui tournait sous leurs yeux comme les aiguilles sur le cadran de l’horloge.
La docte assemblée fut à un moment traversée par une troupe d’angelots qui se poursuivaient en riant à travers les nuages. Saint Pierre, saisi d’une inspiration qui confirmait le bien-fondé du choix que Jésus avait fait de lui, retint par l’aile celui qui passait en le frôlant. Il lui demanda s’il ne serait pas, par hasard, un des anges gardiens des paroissiens de S… un peu oublieux de ses devoirs. L’angelot penaud en ayant convenu, saint Pierre reprit : « Comment, vous voilà en train de jouer à cache-cache en vous souciant comme d’une guigne de ceux qui vous sont confiés ! Vous êtes tout de même là pour les inspirer et protéger ! Ce n’est pas joli joli !… » L’ange lui répondit que la mauvaise volonté de ces gens-là, leur orgueil, leur paresse, leur avarice, sans compter tous les autres péchés capitaux, avaient découragé tous les anges gardiens à qui ils avaient été confiés. Le grand saint lui rétorqua que leur fonction n’était pas une sinécure et lui fit comprendre, avec ses mots à lui, qu’à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, comme aurait pu dire Corneille. Il lui rappela que Dieu lui-même, lorsqu’Adam avait été chassé du paradis, ne l’avait pas laissé tomber et « ne lui avait pas dit de s’arranger comme il le pouvait » ; qu’il avait donné aux hommes les anges, qui sont ses ambassadeurs, pour les libérer, les éloigner de la crainte et pour les rendre dociles à l’Esprit Saint6.
Il n’y avait rien à répliquer. Se rassemblant en nuée comme étourneaux en automne, les anges gardiens, dûment chapitrés, fondirent alors sur le village pour y reprendre leurs places. Ce n’est pas une mince affaire que de travailler l’homme par l’intérieur pour le rendre docile à l’Esprit Saint, sans même qu’il s’en rende compte. Car tout est là ; il faut que sa conversion vienne de lui-même, que, petit à petit, il se pose des questions sur sa façon de vivre, d’aimer, de penser. Il ne s’agit pas de lui faire la leçon, mais, en un certain sens, de créer les conditions qui feront qu’il se regardera comme dans un miroir. C’est là qu’il y découvrira les rides, l’affaissement des épaules ou l’empâtement de son âme, qu’il se rendra compte qu’il pourrait être mieux et que c’est à sa portée. Il faut aussi s’arranger pour qu’il voie autrement le monde qui l’entoure, qu’il découvre par lui-même qu’une autre vie est possible, qu’elle paraît même rendre plus heureux et qu’il pourrait l’adopter, à condition d’y mettre un peu du sien. Les anges gardiens savent, de toute éternité, ce qu’il faut faire, quels moyens il faut employer, quelles rencontres ménager, quels sentiments provoquer pour que l’homme se laisse aller à se convertir. Ils savent aussi que l’épaisseur de malice à vaincre est différente de l’un à l’autre, que pour certains il suffit de peu, d’un signe léger, comme l’encouragement d’un ami qui vous met la main sur l’épaule et vous donne la confiance nécessaire pour traverser un torrent, mais que, pour d’autres, qui ont pris le Décalogue à rebrousse-poil depuis des années, l’approche est plus délicate. Pour les uns, le simple fait de se rendre compte que quelqu’un paraît les regarder les conduit à s’interroger sur eux-mêmes ; pour ébranler les autres, il est parfois nécessaire de les mettre en face de réalités un peu plus rudes. Mais tout cela n’était pas pour surprendre ni décourager les anges gardiens. Ce n’est pas pour rien qu’on parle d’une « patience d’ange ».
Il n’empêche qu’un beau jour, on vint demander le père Martin pour une confession et, pour la première fois depuis longtemps, ce ne fut pas pour entendre un mourant délirant, mais un père de famille bien portant qui fit geindre le confessionnal en s’agenouillant ; un autre jour, il découvrit dans l’église une maman et ses enfants qui avaient mis dans un vase un bouquet de feuillages devant la statue de sainte Thérèse, un autre… Disons que, chaque jour un peu plus, l’église et la paroisse retrouvaient vie. Et le père Martin se serait bien laissé aller à reprendre confiance si le souvenir de tant d’espoirs déçus depuis des années ne l’avait rendu plus que prudent, incrédule. Incrédule et aveugle devant la transformation de ses paroissiens. Tellement aveugle qu’il dut se frotter les yeux lorsqu’en sortant de la sacristie il vit dans l’église une belle assistance pour la messe de minuit. On voudra bien croire qu’il en fut tout de même ému.
Et lorsqu’il monta en chaire pour son sermon, les paroissiens furent un peu surpris de voir quelques plumes voleter. On crut que le ménage n’avait pas été bien fait et qu’il devait y rester un nid de mésange ou de sansonnet, mais, depuis le bas côté de l’église, saint Isidore vit bien que c’étaient les anges gardiens qui, jusqu’au dernier moment, avaient veillé sur ceux qui leur étaient confiés et qui s’envolaient pour lui rendre la place qui lui revenait.

J. Ducarre-Hénage

  1. Le Docteur évangélique.
  2. Docteur angélique : saint Thomas d’Aquin.
  3. Docteur séraphique : saint Bonaventure.
  4. Docteur savoureux : saint Bernard de Clairvaux.
  5. Docteur mystique : saint Jean de la Croix.
  6. Cf. Méditation du pape François le 2 octobre 2015 à la Maison Sainte Marthe ; la citation reprend ses mots exacts.
2020-12-17T17:31:33+01:00

Édito janvier 2021 > Dieu s’est fait frère

Le Verbe fait chair
Le prologue de l’Évangile écrit par saint Jean contient une expression compliquée que l’on retrouve sur l’autel de la chapelle de l’Œuvre : « Le Verbe s’est fait chair ». Le Verbe, la Parole, c’est Dieu dans ce qu’il a de différent de nous. Il est une force de création qui nomme et qui donne vie à ce qu’elle nomme, comme on le découvre dans récit de la Création : « Dieu dit… », et cela est. Dire que le Verbe s’est fait chair, c’est dire que le tout autre, le pur esprit, Dieu, s’est fait homme, comme nous, pour venir nous rencontrer au plus près, sans distance. Et nous découvrons à Noël qu’il se fait le plus petit des hommes, il naît dans des conditions de précarité qui le rendent solidaire de ceux qui vivent le déracinement et la pauvreté : loin de chez lui, dans une pauvre étable, démuni. Tout au long de sa vie publique, Jésus s’est fait proche des pauvres et des blessés de la vie.

Dieu fait frère
On peut traduire l’expression « le Verbe s’est fait chair » par : « Dieu s’est fait frère ». Cela nous ouvre un bel horizon de pensée sur Dieu et sur l’humanité. Dieu, en Jésus, se révèle proche de nous, il va jusqu’à s’identifier aux plus petits et aux plus humbles : « Ce que vous avez fait aux plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait ». Dieu n’est pas dans la violence et la force, il se révèle dans la vulnérabilité et la faiblesse. Il n’est pas un être qui nous domine, qui nous regarde de haut, qui nous condamne ou, pire encore, qui nous met à l’épreuve. Il est solidaire de nos misères et il vient partager notre existence. Il nous accompagne dans nos difficultés, il nous soutient et nous encourage. S’il y a de la puissance en Dieu, ce n’est pas celle de la violence, de la colère ou de la vengeance, c’est celle du courage, de la solidarité, de la fraternité. Rien ne peut empêcher Dieu de nous aimer et de nous vouloir du bien ; c’est dans cet amour absolu que réside sa toute-puissance et sa force. Les sacrements sont pour les chrétiens le lieu où cette énergie de Dieu se révèle au cœur de l’existence humaine : il vient habiter nos vies, il se rend présent aux grandes étapes de notre existence comme dans notre simple quotidien, il nous donne sa force pour que nous puissions assumer nos vies et traverser les épreuves.

Diviniser l’homme
Nous pouvons aller encore plus loin dans la réflexion en reprenant une phrase prononcée lors de la messe, quand le célébrant met un peu d’eau dans la coupe contenant le vin qui va être consacré comme sang du Christ. Il dit : « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’alliance, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité ». Dieu se fait homme pour que l’homme soit fait Dieu, c’est une énormité ! Si nous osions dire que nous sommes divinisés nous serions considérés comme des fous ou des prétentieux ! C’est pourtant ce que nous osons affirmer dans la foi. Nous confirmons cette prétention en reprenant les mots de Jésus qui s’adresse à Dieu en l’appelant « Père », c’est la prière quotidienne des chrétiens, « Notre Père ». Nous sommes de même nature que Dieu… Pour le dire plus humblement, nous essayons de prendre conscience de notre filiation divine afin que cela soit de plus en plus effectif, car nous avons à prendre notre part à cette divinité qui nous est proposée. Par notre manière de vivre, par nos gestes, par nos attitudes, par nos choix, nous pouvons signifier que nous adhérons à cette proposition d’adoption que Dieu nous fait.

Et l’homme s’est fait frère
Nous sommes invités à comprendre la volonté de Dieu : c’est que nous soyons véritablement ses enfants, et que par conséquence nous vivions en sœurs et frères. Cela peut paraître simpliste, mais c’est tout le message chrétien, et de toute religion authentique : accepter de nous soumettre à la paternité de Dieu et répondre à son commandement d’amour et de fraternité. Cela est facile à exprimer, mais c’est autrement plus difficile à vivre, car nous sommes des êtres complexes en qui se mêlent des forces contradictoires. Il nous faut « accepter d’être une mixture de grâce et de mal. Restez au soleil en patience : le mal petit à petit s’évaporera et la grâce restera » écrivait Madeleine Delbrêl. C’est une maturation qui s’opère en nous, mais pas sans nous. Il nous est bon d’en être conscients et de nous donner les moyens de combattre le mal en nous laissant éclairer et réchauffer par l’amour de Dieu. C’est le sens de la pratique religieuse : aller à la messe, vivre les sacrements, prendre du temps pour la prière, lire la parole de Dieu, relire sa vie pour discerner l’action de Dieu, suivre des parcours de catéchisme ou de formation, sont des moyens qui nous sont donnés pour alimenter notre relation à Dieu afin qu’il prenne plus de place dans nos vies et que nous arrivions à mettre en pratique son amour en aimant les autres. C’est un programme pour une nouvelle année, et pour toute une vie !

Olivier

2020-12-17T14:28:51+01:00

L’Évangile du mois de janvier 2021

Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc
Quand Jésus et ses disciples entrèrent à Capharnaüm, aussitôt, le jour du sabbat, il se rendit à la synagogue, et là, il enseignait. On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes. Or, il y avait dans leur synagogue un homme tourmenté par un esprit impur, qui se mit à crier : « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu ». Jésus l’interpella vivement : « Tais-toi ! Sors de cet homme ». L’esprit impur le fit entrer en convulsions, puis, poussant un grand cri, sortit de lui. Ils furent tous frappés de stupeur et se demandaient entre eux : « Qu’est-ce que cela veut dire ? Voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité ! Il commande même aux esprits impurs, et ils lui obéissent ». Sa renommée se répandit aussitôt partout, dans toute la région de la Galilée..

Le contexte
Nous sommes au début de l’Évangile. Marc raconte ici ses premières paroles publiques prononcées par Jésus un jour de sabbat. Il n’est pas encore reconnu comme le Messie. Ses interlocuteurs ont de quoi être particulièrement étonnés par ses actions et ses paroles.

Jésus, un enseignant…
Nous découvrons Jésus dans son activité de prophète. Que fait-il ? Il enseigne. On aimerait bien avoir une trace de ce qu’il a raconté. Marc reste silencieux sur le sujet. Jésus connait bien sa matière puisqu’il a été autorisé par ses pairs à commenter les Écritures (approximativement l’Ancien Testament de nos bibles) dans la synagogue. Il est ici ce porte-parole qualifié, choisi par Dieu, qui doit transmettre la Parole et que le peuple doit écouter.

Il parle avec autorité
Attention à ne pas confondre ce talent de Jésus avec la pathologie qui est l’autoritarisme. Dire qu’il parle avec autorité signifie que sa parole fait grandir celui qui l’écoute. Cela signifie qu’il n’y a pas d’écart entre son agir et ses paroles. Marc précise qu’il ne parle pas comme les scribes, « ceux qui disent mais ne font pas ». L’autorité de Jésus ne vient pas d’abord d’un charisme de tribun ou d’une technique de communication bien rodée, elle lui vient de sa capacité à habiter totalement ce qu’il dit. Il est la parole qu’il énonce. Il est en totale cohérence avec ses paroles.

Démasqué rapidement
Alors que Jésus est encore un inconnu ou presque, il est en quelque sorte démasqué par un homme à l’esprit impur. Quelle est sa maladie ? Le texte ne le dit pas. Peu importe. Ce qui est frappant, c’est de voir que cet homme dit juste. Effectivement, Jésus est bien « le saint de Dieu ». Mais cet homme, au fond, ne comprend pas ce qu’il dit, sa parole est malade. La parole d’autorité, et donc autorisée, de Jésus ne renvoie pas à une parole certes juste mais vide de sens pour cet homme à l’esprit impur. Autrement dit, toute parole juste n’est pas une parole d’autorité. Il est indispensable que cette parole soit habitée, soit ajustée, qu’elle soit prononcée à un moment opportun pour qu’elle soit bien accueillie et transforme l’existence de ceux qui l’entendent.

L’enseignement en actes
Si nous ignorons totalement ce que Jésus a dit dans la synagogue, nous réalisons que Marc a voulu nous faire partager une partie de son enseignement donné non pas comme un cours magistral mais comme des travaux pratiques. Aujourd’hui, 2000 ans après, ce qui nous bouleverse reste cet enseignement nouveau : Jésus ne confond pas la personne avec son mal. Il est venu pour combattre le mal. Il va demander à l’homme de se taire pour que sa parole malade n’induise pas ses interlocuteurs dans l’erreur.

Pour actualiser
Sommes-nous capables de lutter contre le mal sous toutes ses formes ? Et même, le voulons-nous ? Sommes-nous capables de faire la distinction entre le mal et celui qui le commet ? Qu’en est-il de notre autorité ?

Didier Rocca

Le mot du jour : autorité

Du latin auctoritas, capacité de faire grandir. Celui qui a de l’autorité est donc capable de faire grandir celui qui est sous sa responsabilité. Une autre étymologie suggère que ce mot « autorité » vient du mot « auteur ». Ainsi, avoir de l’autorité rend l’autre auteur, acteur, responsable de sa propre vie.

2020-12-17T17:27:11+01:00

Lettre du Villard – novembre 2020

LETTRE DU VILLARD

Le Villard, le 15 novembre 2020

Bien cher ami,

Votre départ du Villard n’a précédé que de quelques heures l’annonce des nouvelles mesures de confinement qui réduisent presque à néant nos possibilités de nous déplacer et de rencontrer d’autres personnes que celles de notre maisonnée. Nous ne sommes cependant pas ici parmi les plus à plaindre car, dans notre bout du monde, la fréquence des rondes des « chaussettes à clous »1 chères à Boris Vian, chargées de vérifier le respect de ces mesures, n’est pas à redouter. Vous êtes malheureusement dans une situation bien différente et nous espérons que vous pourrez, vous comme votre famille, vous conserver saufs des contacts que votre vie vous impose.
J’ose à peine vous dépeindre, pour ne pas ajouter aux désagréments de votre existence de citadins confinés, la beauté déclinante de notre vallée depuis le jour de Toussaint où nous sommes retrouvés pour la dernière messe avant longtemps sans doute, sous la protection de gendarmes en armes. Lors de votre départ, les hêtres avaient déjà perdu leur flamboyance, mais les cerisiers et les bouleaux, qui se détachaient sur la pelisse rousse des mélèzes que porte l’adret, prolongeaient leur harmonie colorée. Jour après jour, leurs feuilles délaissaient leurs branches et formaient une jonchée ocrée à leurs pieds. Mimiquet est malheureusement venu aujourd’hui nettoyer votre jardin selon ses idées ; son coup de râteau a brutalement arraché les dernières couleurs encore claires du paysage qui, sur-le-champ, a pris son aspect sévère qui précède les premières chutes de neige.
Ce matin, en ouvrant les volets, j’ai découvert que le pommier devant la fenêtre de notre chambre avait, dans la nuit, perdu toutes ses feuilles. La soudaineté de la modification du paysage qui en résultait m’a frappé : je distinguais des vallons dont j’avais perdu le souvenir depuis des mois, je voyais des détails auxquels je ne prêtais plus jusqu’alors attention… Il suffit parfois de peu de chose pour changer nos perspectives et nous dessiller les yeux ! Dans les moments particuliers que nous vivons les évènements susceptibles de nous les ouvrir ne manquent pas, à condition que nous ne nous contentions pas de pousser machinalement les volets, de lever un peu les yeux au-delà des plates-bandes qui sont sous notre fenêtre et de ne pas laisser notre regard errer sans but dans le décor auquel nous sommes tellement habitués que nous ne nous y intéressons plus.
Bravant les interdits, notre ami Gastinel est venu nous rendre visite à l’heure du café. Il faut espérer que la neige tombera assez vite pour lui apporter l’innocent divertissement, coupable aux yeux de la loi actuelle, des promenades en raquette car son humeur, sombre depuis des mois, pourrait le mener par petites étapes sur le chemin de la dépression. Les assassinats islamistes des derniers jours l’ont démoralisé et il ressent comme l’effondrement de notre société la présence de militaires devant les églises pour dissuader d’éventuels fanatiques d’agresser les fidèles ; ce qui le mine, c’est qu’il faille, au moins en apparence, protéger les fidèles d’une religion qui a contribué à former notre société. Me Beraud, fidèle de notre cénacle (clandestin ! ), d’autant plus assidu que sa femme a confisqué leur ordinateur pour jouer au bridge à longueur de journée, et dont l’équanimité2 est de plus en plus remarquable, lui a représenté qu’il ne pouvait pas ne pas voir que les fanatiques n’étaient pas représentatifs de tous ceux qui se réclamaient de l’islam et qu’il ne fallait pas dramatiser la situation.
« Comme tout le monde, fit Gastinel, vous vous aérez les bronchioles en prenant à votre compte des affirmations sur des sujets dont vous ne savez que ce que vous avez lu ou entendu de la bouche de journalistes ; ceci dit, pour être honnête, je vous dirai que je suis comme vous. Les idées, que nous véhiculons parce qu’elles correspondent à ce qui agrée à notre personnalité, nous conditionnent au point que nous ne nous rendons pas compte que nous déformons notre perception de la réalité pour qu’elle entre dans nos schémas de pensée. Quoi qu’il en soit, jusqu’à preuve du contraire, on ne voit pas que des catholiques ou des juifs fanatiques cherchent actuellement à tuer des croyants d’autres religions »- « Oh ! Ne faisons pas les malins, glissa Beraud ; il y a eu des fanatiques chez les catholiques comme dans toute religion car, comme aurait pu dire Joseph Prudhomme3, dès lors que le sabre de l’État trempe dans le bénitier du goupillon d’une religion, l’eau rougit assez vite. Ce qui fait aujourd’hui la différence, c’est que les religions que vous citez ont fini, volens nolens, par admettre qu’elles n’avaient peut-être pas le monopole de la vérité. »
Gastinel, ayant repris le déroulement de son lamento4, en était venu au passage désormais obligé dans les conversations de la défense de la liberté d’expression ; son respect lui paraissait indispensable, quand bien même on ne serait pas d’accord avec ce qui se dit. Me Beraud l’interrompit en lui demandant si, pour lui, cette liberté d’expression s’étendait jusqu’à la faculté de dire n’importe quoi. Gastinel a reconnu que la liberté des uns devait s’arrêter au point où commençait celle des autres et que la vie en société imposait des contraintes. Beraud a alors fait remarquer que le louable désir de liberté individuelle qui s’amplifie depuis des décennies avait peut-être maintenant atteint les limites que lui assigne l’évolution de la composition de notre société. « Eh oui, mon vieux ! Notre société n’est plus celle au sein de laquelle ces aspirations ont commencé leur épanouissement. Elle inclut maintenant des populations dont il faut tenir compte pour préserver la paix sociale ; au nom du droit à la liberté d’expression et, dans un autre registre, du droit à la différence, on a laissé ceux qui ne reconnaissent pas le droit à la différence devenir les prosélytes du refus de la différence. Notre société s’est augmentée de tellement de différences que les consensus qui paraissaient évidents ne le sont peut-être plus. Que voulez-vous, on n’a pas été cohérent, clairvoyant. Il faudra faire avec et inventer de nouvelles règles du jeu social ».
Je suis alors revenu sur ce qu’avait dit Gastinel de notre propension à interpréter les informations pour qu’elles coïncident avec nos idées : « Vous nous faites remarquer que, sans en être conscients, nous sommes tous des idéologues et nous le sommes dès lors que nous prenons nos désirs pour des réalités. Nous le sommes comme l’est le responsable religieux qui projette sa croyance sur une réalité politique contraire ou comme le journaliste qui, sans tenir compte de l’état d’esprit réel du pays, annonçait l’effondrement des républicains aux USA à partir de sa seule aversion pour Trump… Et encore, je pars du principe que l’un comme l’autre sont de bonne foi…». Gastinel observa que si nous en étions réduits à n’échanger que sur des faits et non sur des opinions, nous n’aurions pas grand-chose à dire ; Béraud lui a alors rappelé que Paul Valéry considérait qu’il n’était pas raisonnable de soutenir qu’on ne discutait pas des goûts et des couleurs. Si, en effet, il est concevable de débattre de ce qui est subjectif, comme les goûts et la perception des couleurs, il n’est pas raisonnable de discuter de ce qui est objectif et qui, par essence, ne prête pas à interprétation5.
Je me suis souvenu de la dernière conversation que nous avons eue au sujet du traitement de l’information relative à l’épidémie (qui, selon le mot de Gastinel, nous transforme en papillons épinglés dans une boîte d’entomologiste). Vous étiez décontenancé parce que la communication officielle ne parvient pas à donner une impression de cohérence ; vous ne mésestimiez pas que personne ne maîtrise le sujet ni ses évolutions et qu’on ne peut guère alimenter l’information que par les moyens à imaginer pour réduire les risques de contamination dans cette partie de colin-maillard disputée en pleine obscurité. Vous regrettiez surtout que n’ait pas émergé une autorité à partir de laquelle se seraient organisées la communication et les initiatives. Peut-être le pays est-il trop atomisé… Je suis tombé l’autre jour sur un proverbe akan6 qui me paraît bien convenir à la situation : « Celui qui suit la trace de l’éléphant ne sera pas mouillé par la rosée ». Je vous laisse le soin de vérifier. Mais peut-être suis-je en train de déformer la réalité pour la faire correspondre à mes idées…
Nous continuons d’espérer que vous pourrez venir célébrer avec toute votre famille la fête de Noël au Villard. Soyez sans crainte, nous saurons garder nos distances !
Nous vous redisons toute notre amitié.

P. Deladret

  1. Nom donné en argot aux chaussures renforcées des forces de l’ordre, et par extensions aux gendarmes qui les portaient ; on doit à Boris Vian en 1954 la chanson « La Java des chaussettes à clous ».
  2. Équanimité : égalité d’humeur procédant d’un parfait détachement du contexte affectif.
  3. Joseph Prudhomme, personnage d’Henri Monnier (1799-1877) qui lui fait dire, lors de son admission dans la Garde nationale, « Ce sabre est le plus beau jour de ma vie ».
  4. Lamento : chant de tristesse et de déploration.
  5. Dans Tel quel, 1941, recueil de réflexions, aphorismes, boutades…
  6. Akans : Peuple de l’actuel Ghana..
2020-12-18T08:53:05+01:00